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aigu, direct et d’autant plus terrible que le plaignant assistait en personne à l’audience, mais il appartenait à la cause. Le jury en ressentit le foudroyant effet et acquitta le journal imprudemment poursuivi.

Mais si, sans nécessité, l’avocat se livre à des personnalités outrageantes, au dénigrement, à des invectives contre les magistrats ou contre les parties, se peut-il que la robe lui soit un refuge et qu’il trouve dans ses plis le privilège de l’impunité? S’il en était ainsi, si la liberté qu’on lui a laissée et qu’on lui veut pouvait servir à un tel usage, il faut convenir que le barreau serait bien la pire des choses. Mais il n’en est rien, quoi qu’on en ait dit. De tout temps, sous tous les régimes, l’avocat a encouru des responsabilités. Si l’antiquité laissait aux orateurs la plus grande latitude, les parlemens veillaient sévèrement aux intempérances du langage. Le doux Montesquieu ne montrait-il pas le bout de la férule aux avocats de Bordeaux quand il leur disait, à l’audience de rentrée du mois de novembre 1725 : « Avocats, la cour connaît votre intégrité, et elle a du plaisir à pouvoir vous le dire. Je sais bien que la loi d’une juste défense vous oblige souvent de révéler des choses que la honte avait ensevelies, mais c’est un mal que nous ne tolérons que lorsqu’il est absolument nécessaire.» Le décret de 1810 ne laissait rien désirer à la répression : il menaçait tout uniment du code pénal les avocats qui auraient la langue trop fourchue ou trop longue. On peut se rappeler qu’un avocat, devenu garde des sceaux à la fin de l’empire, s’est vu condamner à trois mois de suspension pour avoir dit à une audience du tribunal correctionnel de la Seine : « Le ministère public a fait appel aux passions les plus irritantes, et cela est mauvais, je le regrette. » En cela les magistrats usaient d’un texte du code de procédure avec une rigueur donnant une idée suffisante du pouvoir qui leur a été remis. Mais les droits les plus formels ont aussi été réservés aux particuliers : la loi sur la presse du mois de mai 1819 avait pourvu à tous les cas. Était-ce un plaideur qui souffrait d’une imputation ou d’une injure, le tribunal pouvait aussitôt appliquer à l’avocat des peines disciplinaires, en réservant à la partie blessée l’action réparatrice du droit commun. Si c’était un tiers, absent, ou étranger au débat, qui était atteint, la même action lui était ouverte contre l’avocat. Cette loi n’existe plus, à la vérité ; elle a été abrogée par la nouvelle loi sur la presse du 30 juillet 1881, mais celle-ci renferme les mêmes dispositions. Voici en quels termes, tout à fait rassurans, elle contient et calme les emportemens du barreau : « Les juges pourront faire des injonctions aux avocats et même les suspendre de leurs fonctions. Les faits diffamatoires étrangers à la cause pourront donner ouverture soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers. »