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adversaires des compagnies devenus les défenseurs, les patrons volontaires des conventions, M. Raynal, M. Baïhaut, et bien d’autres. Il mit une insistance vraiment cruelle à opposer au ministre des travaux publics les paroles mêmes que celui-ci prononçait tout récemment encore au conseil général de la Gironde pour revendiquer les droits imprescriptibles de l’état, pour blâmer l’administration des compagnies et pour réclamer le rachat des chemins de fer. Comment M. Raynal s’était-il métamorphosé à ce point? Comment, plus dévoué que Decius, avait-il jeté sa foi dans le gouffre? Et M. Madier de Montjau, qui, à tort peut-être, n’a jamais varié, se plaisait à étaler sur la tribune les variations de M. Raynal. C’était de bonne guerre, mais l’argument ad hominem ne prouvait rien dans la cause. M. Raynal n’eut pas besoin de désavouer les opinions qu’il avait exprimées antérieurement sur la question de principe; il déclara même que, si l’on était encore en 1838, c’est-à-dire au début de l’ère des chemins de fer, il croirait devoir maintenir aux mains de l’état la construction et l’exploitation des grandes lignes ; il aurait, en 1838, voté avec Lamartine contre le système des compagnies recommandé par Arago, — et ce dernier était bien, pourtant, un démocrate. — Mais comment revenir sur une décision, sur une œuvre qui compte près de cinquante ans de durée? comment détruire tout d’un coup un état de choses que le temps et les lois successives ont si fortement établi ? Chargé d’assurer la construction de plusieurs milliers de kilomètres, le ministre des travaux publics devait rechercher avant tout le moyen d’accomplir cette tâche en tenant compte des circonstances ainsi que des ressources disponibles. Si M. Raynal en était venu à signer les conventions, lui, partisan si absolu des droits de l’état, n’était-ce point la preuve que cette combinaison s’imposait? Peut-être encore l’ancien conseiller général de la Gironde, devenu ministre, connaissant mieux, par conséquent, tous les détails de la question des chemins de fer, s’était-il dégagé des préventions que lui inspirait le régime des compagnies. Quelques-uns de ses prédécesseurs au département des travaux publics s’étaient abandonnés à cette conversion sincère, que l’on ne saurait taxer d’apostasie. En politique, presque tous les opposans, quand ils arrivent ministres, sont plus ou moins apostats; dans les affaires, l’étude plus complète des dossiers, des faits, et des hommes rectifie bien des jugemens, dissipe les préventions et modifie souvent les convictions qui semblaient les plus robustes. En tous cas, les épigrammes lancées par M. Madier de Montjau contre les variations de M. Raynal n’eurent pas plus de succès que ses tirades contre la ploutocratie. Quant au droit souverain de l’état, c’est une théorie autoritaire, une doctrine de