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l’imiter. Notre époque est si composite qu’elle n’a plus de style architectural. Nous juxtaposons des édifices dont les conceptions différentes contrastent d’une façon singulière. Les croirait-on bâtis à la même époque? J’imagine au moins que les clochers gothiques de Sainte-Clotilde doivent être bien étonnés lorsqu’ils aperçoivent par-dessus les toits le dôme de Saint-Augustin ou la tour italienne de la Trinité. Quel travail pour les savans de l’avenir! et que d’erreurs on leur prépare! N’attribueront-ils pas au moyen âge la mairie du Ier arrondissement? la Chambre des députés et la Madeleine à l’époque romaine? La sculpture, à la vérité, résiste glorieusement et tient bon. Mais le Charles Blanc qui voudrait, dans quelques années d’ici, écrire l’histoire de l’école française de peinture, ne serait-il pas bien embarrassé pour déterminer la synthèse de ses tendances, de ses idées, de ses principes? Parviendrait-il à se reconnaître au milieu du chaos où il se trouverait en présence de toutes les traditions et de tous les caprices individuels?

C’est qu’en effet l’école française se subdivise à l’infini, ou plutôt elle renferme autant d’écoles que d’écoliers. Celui-ci se réclame de Boucher, celui-là de Raphaël, et, tan lis que l’un fait revivre les Espagnols, l’autre ressuscite les primitifs. Chacun va où l’entraînent son tempérament et ses goûts. Est-ce un bien? Est-ce un mal? Cela serait difficile à dire. L’uniformité est ennuyeuse; mais, arrivée à ce degré, la diversité devient inquiétante. Ne peut-on pats craindre que toute originalité disparaisse et que l’invention soit étouffée par l’imitation ? Certes, ce serait un malheur qu’on pût dire, un jour en France que toutes les écoles y coexistent, à l’exception de l’école française.

Si cette diversité étonnante est un danger véritable pour la peinture, au moins est-elle avantageuse pour les peintres, qui trouvent ainsi mille moyens, dont quelques-uns assez faciles, pour arriver à la notoriété. Il en résulte que l’habileté est devenue assez commune, mais que le niveau a peut-être baissé Les œuvres originales sont devenues plus rares à mesure que croissait le nombre des œuvres faciles. Certes, le talent n’a point manqué aux peintres, mais il s’est démocratisé et, le goût de la foule faisant loi, il s’est tenu dans les bornes d’une médiocrité honnête. La peinture de genre a été mise en honneur; c’est la seule qui puisse entrer dans les appartemens actuels. On a généralement réduit les dimensions des toiles, et, de plus en plus, on a cherché à intéresser par le sujet.

Un effet de lumière et de clair-obscur suffisait autrefois aux bourgeois flamands, qui, eux aussi, achetaient, pour orner leur intérieur, de la peinture de genre. Mais les bourgeois des Flandres avaient un instinct artistique que la plupart de nos amateurs n’ont plus, ou plutôt qu’ils n’ont jamais eu. Ce qu’il leur faut, c’est un