Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est un peintre de portraits mélancoliques. Il remplit ses toiles d’une tristesse particulière qui leur donne une saveur incomparable. On retrouve, cette année, le maître tel qu’on l’a connu autrefois; c’est toujours le peintre mystérieux et attendri des Filles de Tiffoli et de la Malaria. M. Hébert se devait de figurer à l’Exposition nationale; il y apporte aux jeunes générations d’artistes les grandes traditions de l’école, une science sûre d’elle-même et le noble exemple d’une carrière d’artiste bien remplie.

Avoir derrière soi une longue carrière d’artiste bien remplie, aucun éloge n’est moins banal que cet éloge, et aucun artiste ne le mérite peut-être davantage qu’un grand paysagiste de notre temps, l’égal de Rousseau, qui lui-même égalait Ruysdaël et le Lorrain : je veux parler de Jules Dupré. Hélas! où est-elle maintenant notre école de paysage? Rousseau, Corot, Daubigny, Chintreuil sont morts ! Des artistes de ce temps, Dupré seul nous reste, mais c’est un des premiers parmi les premiers. Il soutient la comparaison des modernes et la comparaison des anciens, et son œuvre restera tout entière, comme celle des plus grands maîtres de la Flandre et de l’Italie. Depuis longtemps, M. Jules Dupré avait renoncé aux Salons annuels; il est représenté à l’Exposition nationale par huit toiles, qui sont de véritables tableaux : ce n’est ni la copie servile de tel coin de la campagne, ni l’interprétation aventureuse d’une impression ressentie; c’est une composition savante qui a emprunté ses effets à une longue série d’études; c’est bien la nature, mais c’est la synthèse de la nature. Conseillons aux jeunes paysagistes d’étudier le ciel chez M. Jules Dupré; aucune étude ne saurait leur être plus profitable, car personne mieux que Dupré n’a sondé la profondeur des cieux pour entrevoir les secrets changeans qu’ils dérobent, avec un soin jaloux, aux regards des profanes.

C’est aussi l’amour de la vérité qui, dans un autre genre, donne une valeur si grande aux tableaux de M. Guillaumet. Plus qu’aucun de ses devanciers peut-être, il a compris l’Afrique; mieux qu’aucun autre, il en a rendu les aspects intimes ou pittoresques, la tristesse ou la grandeur, l’éclat ou la mélancolie. Les six toiles qu’expose M. Guillaumet arrêtent le visiteur le plus indifférent par l’éclat envahissant du coloris, le retiennent par l’exactitude et l’heureuse harmonie du détail; le captivent par la vérité de l’accent et le bonheur d’expression de l’ensemble, le passionnent par la distribution savante de la lumière tantôt discrète, tamisée, amortie, tantôt étincelante, diffuse et inondant la Place de Laghouat tout entière des brûlans rayons du soleil saharien.

Grâce au ciel, la race de nos grands peintres n’est pas encore éteinte, et, devant les preuves d’un talent aussi souple que consciencieux, on peut se reprendre à espérer.