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un caprice de son cœur, ces caractères que le moraliste lui donne pour ceux du véritable amour : « l’unité, l’éternité? » n’est-il pas vrai que l’homme, au contraire, recherche la femme de son prochain pour un temps et serait dégoûté d’elle s’il pensait risquer de se l’attacher pour la vie? Caprina, dans Tragaldabas, pour attirer Eliseo, lui fait croire qu’elle est en puissance de mari, et le galant veille sur les jours de l’époux prétendu par crainte de se trouver en puissance de veuve. Dans la comédie de Bayard, Alexandre chez Apelles, la femme qu’on croyait mariée découvre à l’amoureux qu’elle ne l’est pas, et l’amoureux aussitôt feint de l’être, pour esquiver de justes noces. Dans l’Autre motif, de M. Pailleron, une femme séparée a coutume de se dire veuve pour éconduire les galans. Dans l’Acrobate, de M. Feuillet, l’amant, surpris par le mari et mis en demeure de fuir avec la femme, tire sa révérence et va chercher bonne fortune ailleurs. Ce n’est pas trop d’exemples au théâtre d’un cas si fréquent à la ville, au moins à ne considérer que ce qu’ils offrent de commun : l’égoïsme de l’homme. Ce n’est même pas assez, faute d’un, le dernier en date, et justement le meilleur : il était réservé à MM. Meilhac et Halévy de nous donner celui-ci dans la Petite Marquise.

M. Octave Feuillet, par privilège de ses habitudes, s’était trouvé sur le terrain le plus convenable au sujet : dans le monde, — c’est-à-dire dans ce monde parisien dont les personnages se reconnaissent à certams signes d’élégance. Oisif et distrait de tout, sinon de lui-même, par les mille riens qui doivent amuser son oisiveté, indifférent presque à toutes choses, sinon à l’indépendance de ses manies et de ses caprices, accoutumé à prévoir la fin d’une fantaisie au moment qu’elle commence, « l’homme du monde, » dans ses rapports avec la femme, fournit à l’observateur un exemplaire de l’égoïsme parfait. C’est lui assurément qui, plus que toute autre variété du sexe, apporte pour l’adultère «son tailleur, son cheval, la manière dont il met sa cravate, son désœuvrement, le désir de faire des économies... » Le héros de MM. Meilhac et Halévy sera donc un homme du monde, le vicomte Max de Boisgommeux. Il fait la cour à la petite marquise de Kergazon. Où l’a-t-il rencontrée? « Chez la haute banque, à l’ambassade, » où l’un et l’autre fréquentent. Comment lui parle-t-il? Avec la familiarité, ou, pour mieux dire, la platitude et la vulgarité qui sont à présent du bel air. Il peut bien retrouver, si le désir échauffe sa mémoire, quelques bribes de littérature et comparer son amour au « grondement du tonnerre, à la palpitation des étoiles, » mais son langage courant est plus moderne. Quand la marquise lui raconte qu’elle est venue jusqu’à la porte du petit appartement capitonné pour elle, et puis qu’elle a reculé : « Pourquoi, interrompt-il, puisque le plus fort était fait? » Quand elle lui dit qu’elle ne peut se résoudre à se partager entre son mari et lui : « Décidément? fait-il. — Décidément! — Eh bien ! c’est bon. » Une telle simplicité