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au pays cette politique plus rassurante et ce gouvernement durable dont ils sentent la nécessité ? Ils résistent ou ils essaient de résister sur quelques points, il est vrai ; le plus souvent ils évitent de trop s’engager de peur de paraître se désavouer. Ils mettent un certain éclat dans leurs ruptures avec les « iniransigeans, » et ils ne dédaignent pas de garder des intelligences parmi les conop’aisans du radicalisme. On dirait que leur ambition se réjouit tout simplement à être des révolutionnaires plus décens que les radicaux, à jouer le même air, mais à le jouer mieux, à procéder avec méthode pour arriver par degrés à ce que les diplomates du parti appellent le « but identique. » En d’autres termes, ils passent leur temps à démentir par leurs actes ce qu’ils ont affirmé par leurs discours et à se débattre au milieu des impossibilités qu’ils se créent. C’est en vérité l’histoire du ministère depuis quelques jours, dans un certain nombre d’affaires où il aurait pu assurément éviter des concessions sans proût comme sans prévoyance, mais où il s’est senti lié par une vieille complicité avec les passions et les préjugés anticléricaux dont il subit la tyrannie.

Où était, nous le demandons, la nécessité de cette circulaire par laquelle M. le garde des sceaux a cru devoir remettre en question la messe du Saint-Esprit, qui, jusqu’ici, a inauguré ou accompagné tous les ans la rentrée des cours de justice et des tribunaux de tout ordre ? C’était une vieille tradition que tous les gouvernemens réguliers ont respectée et qui, par un privilège singulier, avait même paru échapper aux violentes contestations des polémiques de parti. Les grands réformateurs radicaux eux-mêmes, probablement occupés de plus importantes besognes, avaient à peu près oublié d’organiser une campagne pour l’abrogation de cet usage consacré ; ils n’y avaient pas trop pensé. C’est bien gratuitement et en signe de bonne volonté qu’on s’est cru obligé de leur offrir cette vulgaire satisfaction. M. le garde des sceaux, à la vérité, n’a point supprimé de sa propre autorité, d’une manière générale et absolue, la messe du Saint-Esprit ; il a laissé aux cours et aux tribunaux la liberté de la supprimer selon leur fantaisie, et, par une conséquence assez naturelle, puisqu’il n’y avait plus de cérémonie officielle uniformément ordonnée, M. le ministre de la guerre, à son tour, a cru devoir donner des instructions aux comandans de corps d’armée pour retirer tout appareil militaire à la solennité de la rentrée des tribunaux. Quelques saluts militaires ou quelques coups de tambour de plus ou de moins ne sont pas, si l’on veut, une affaire. Ce qui est plus grave, c’est l’idée même qui a inspiré cette mesure, c’est cette suppression ou cette tentative de suppression d’un vieil usage digne de respect. Cette messe du Saint-Esprit, accompagnée d’un certain appareil militaire, avait assurément sa signification. C’était une manière de maintenir le prestige de la justice, de relever aux yeux de tous l’importance de l’institution judiciaire. Que M. le