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financiers éclos en ces dernières années : il en comptait 85 et ce n’est pas tout. Un catalogue des journaux français, publié à Paris en avril 1881, en mentionne 228 contre 95 journaux politiques seulement. On distribuait des « mensualités, » c’est-à-dire des rétributions mensuelles comportant l’obligation d’insérer les « petits papiers » que les compagnies jugent à propos de répandre. On sait qu’une large place est acquise dans tous les journaux, même les plus sérieux, aux opérations de bourse et de finance : mais il en coûte cher pour déterminer un entraînement général du public. Pour soutenir des opérations de plus en plus fragiles, on a dû consacrer à la réclame des sommes de plus en plus fortes. Dans la faillite d’une banque qui s’était écroulée à grand bruit en 1880, après quelques mois de succès triomphans, le syndic a relevé une somme de 2,775,000 francs pour frais de publicité.

Ces manœuvres étaient suffisantes pour lancer et soulever des valeurs de crédit, mais elles auraient été impuissantes pour les soutenir à la hausse pendant des années sans un engin de spéculation dont on fît un usage immodéré : je veux parler des reports. Qu’un négociant fasse un emprunt pour éviter de vendre une marchandise à la baisse, rien de plus normal : mais que l’on groupe des capitaux d’une façon permanente, qu’on forme des sociétés spécialement destinées à provoquer la hausse en intervenant dans toutes les transactions, est-ce bien légitime? Des maisons qui s’établiraient pour faire hausser systématiquement le prix des grains ou du sucre n’auraient-elles rien à démêler avec la justice ? La réponse à cette question appartient au législateur.

Il s’agit seulement ici de constater un fait : c’est que, dans les récentes campagnes de bourse, le report, au lieu d’être une ressource accidentelle, s’est généralisé; il est devenu le moteur le plus énergique de la majoration des prix et du progrès, plus apparent que réel, de la richesse nationale. La spéculation aléatoire, n’ayant pour idéal que le bénéfice à réaliser par la plus-value des titres, enivrée, fascinée par ce mouvement de hausse qu’elle-même suscitait, ne reculait devant aucun sacrifice pour prolonger ses opérations jusqu’au jour favorable. Assez souvent des agens de change facilitent ce jeu par des arrangemens pour les courtages et pour les couvertures. La tentation est forte. La possibilité d’inscrire des chiffres énormes, de remuer de grosses sommes avec des ressources modiques pour les couvertures, enflamme les esprits aventureux. On force les reports pour obtenir la hausse dont on a besoin, et, en certains cas, les cours du titre augmentent à mesure que l’entreprise périclite.

De leur côté, les capitalistes sérieux, les détenteurs de la richesse effective, voyant souvent le prix attribué au report dépasser le