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revenu produit par le titre[1], constatent qu’il y a plus de gain et plus de sécurité à pratiquer ce genre de prêts sur nantissement qu’on appelle le report, qu’à spéculer directement sur les valeurs. La haute banque, aussi bien étrangère que française, fournit sous bonne caution le nerf de la guerre aux agités de la coulisse. Quelquefois, — et ici l’illégalité commence, — les sociétés financières mettent en report leurs fonds disponibles sur leurs propres titres. Un procès récent a montré qu’une de ces sociétés, celle dont l’écroulement a causé tant de ruines, avait, au jour de sa chute, acheté à terme ou pris en report ses propres actions ou celles des affaires accessoires qu’elle avait créées, pour une somme de 212,513,267 fr. ; ce qui explique comment on avait pu enlever au-delà de 3,000 fr. une valeur sur laquelle 125 francs seulement étaient versés. Le plus triste en tout cela a été l’éblouissement causé dans le monde commercial par l’exemple de ces gains faciles, rapides et sans travail : chaque jour de liquidation, des sommes incalculables, tirées des caisses de l’industrie et du commerce, étaient portées chez les agens de change pour être employées en reports, au grand détriment de la production, source de la vraie richesse. La fabrique lyonnaise s’est meurtrie en se laissant glisser sur cette pente; elle en souffrira longtemps.

De tous ces agissemens, de ces combinaisons poussées à outrance, soutenues par un ensemble et avec un entrain effréné pendant plusieurs années, il est résulté sur le marché français des valeurs négociables une hausse vertigineuse, qui fera date dans l’histoire économique de l’Europe, une hausse qu’on a saluée dans la foule comme un signe de prospérité, mais qui portait en elle bien des germes d’embarras privés et peut-être de malheurs publics.

La période d’expansion a pour point de départ, ai-je dit, la seconde moitié de l’année 1874, et s’étend jusqu’à la fin de 1881. J’ai cherché le total donné par la capitalisation des valeurs au cours de la bourse pendant le troisième trimestre de 1874 et j’ai refait le même calcul, à sept ans de distance, d’après les cours cotés dans le troisième trimestre de 1881. J’ai trouvé les majorations suivantes :

Pour les principaux types de rentes françaises : 4,791, 615, 000 fr. ; pour la Ville de Paris, en comptant deux émissions plus récentes, 323,210,000 francs; pour six grandes compagnies de chemin de fer français, plus deux chemins algériens garantis par l’état, actions et obligations, 4,392, 395,000 francs; pour la Banque de France et le Crédit foncier, 586,250,000 francs ; et enfin, pour un groupe de

  1. On a noté à la Bourse, en mars 1881, des valeurs dont le dividende donnait de 25 à 30 francs et sur lesquelles le report n’a pas été moindre de 20 francs, ce qui pour l’année entière aurait fait 240 francs.