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III.

Ce phénomène de l’enchérissement, quand il se déclare par une explosion soudaine et d’un effet saisissant, ainsi qu’on l’a vu en ces dernières années, aigrit et soulève les populations de manière à compliquer les crises politiques. On ne saurait y donner trop d’attention. Il ne suffit donc pas, pour un fait d’une telle importance, de s’en tenir à une démonstration abstraite qui pourrait être contestée, il me paraît nécessaire d’éclairer la théorie par quelques souvenirs historiques.

L’exemple le plus frappant remonte à 1720. Le système de Law est alors en plein triomphe. La hausse des prix a été si rapide et si générale que toutes les transactions en sont bouleversées ; il y a pour le plus grand nombre impossibilité de vivre et pour les autres une surabondance malfaisante. Le phénomène est nouveau, on ne s’en rend pas compte. On croit à une conjuration du commerce, et, pour la déjouer, le gouvernement imagine de faire acheter par la compagnie des Indes les marchandises d’un usage courant, et de les débiter dans des boutiques spéciales aux prix des temps ordinaires. Cette tentative jette la terreur dans le monde commercial. L’avis unanime est qu’il faut réagir par une protestation éclatante. Les six corps des marchands tiennent conseil, et décident qu’il y a lieu de faire entendre les doléances du commerce honnête. Les notables représentant les six corps, au nombre de trente-six, en costume officiel, traversent processionnellement les rues de Paris pour se rendre au Palais-Royal. Le régent refuse de les écouter et les envoie promener en des termes qu’il ne serait pas bienséant de répéter. L’usage voulait à cette époque que toutes les paroles que le souverain daignait adresser aux marchands fussent transcrites exactement, de la main du chancelier, sur un grand registre qui était comme le livre d’or de la bourgeoisie parisienne. La députation se rend à la chancellerie et insiste pour que les paroles prononcées par le chef de l’état soient fidèlement consignées. Le chancelier d’alors était le grave et vertueux d’Aguesseau : l’histoire raconte qu’il éprouva quelque difficulté à concilier la décence officielle avec la tradition qui l’obligeait à inscrire mot pour mot les paroles du souverain.

Au cours du XVIIIe siècle, la Hollande était devenue le grand marché des capitaux, on pourrait dire la bourse de l’Europe. On y avait abandonné l’industrie et la navigation commerciale qui avaient constitué très fortement ce petit pays pour placer la richesse acquise dans les emprunts et les fonds étrangers. La Hollande était créancière du monde entier. Des trésors s’accumulaient dans certaines