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l’économie, à la prévoyance, à l’industrie qui est la vraie richesse, à la spéculation saine et loyale.

Dans ces campagnes de hausse qui aboutissent fatalement à une catastrophe, un même fait s’est toujours produit comme une conséquence naturelle : c’est la spéculation effrénée sur le bâtiment. Les joueurs audacieux et heureux dans leur audace, en possession d’une opulence dont ils sont les premiers surpris, n’ont qu’une médiocre confiance dans les papiers qui les ont enrichis. Ils se gardent bien de livrer tous leurs gains aux hasards de la Bourse : ils ont hâte d’assurer leur avenir par des placemens réputés solides, et c’est le plus souvent sur la propriété foncière que leur visée s’arrête. Ils font édifier des hôtels à leur convenance, ils achètent ou font construire des maisons de rapport. Beaucoup d’autres, qui ont réalisé des profits sans arriver à la richesse, aspirent comme simples locataires au confortable : ils cherchent des appartemens plus ou moins somptueux. Habiles à exploiter cette tendance, les architectes s’emparent des entrepreneurs et les fascinent : les maisons de crédit ouvrent largement leurs caisses et la spéculation prend feu. Le fait s’est vérifié en tous lieux, en tout temps. Sous le système de Law, dont les effets furent très rapides, les mémoires du temps nous disent que « tout ce qu’il y avait à vendre en maisons, hôtels, bien ruraux et seigneuries se trouvèrent enlevés en un instant. » Le prix des immeubles monta au quintuple, les placemens de ce genre se faisaient à 1 ou 2 pour 100. Je ne chercherai pas d’autres analogies dans les crises de Londres en 1825 ou de Vienne en 1873. Je m’en tiens à constater ce qui s’est passé sous nos yeux.

De 1874 à 1882, l’octroi de Paris a encaissé sur les matériaux de construction plus de 72 millions, sans compter les bois de charpente et de boiseries qui ont fourni au moins 2 millions. Cette recette, calculée au taux moyen de 5 pour 100, suppose un déboursé d’environ 1,500 millions rien que pour les matériaux de la bâtisse. Il n’y a pas d’exagération à dire que les prix des terrains ont doublé depuis dix ans. Pendant cette même période, les ouvriers du bâtiment ont bénéficié d’une augmentation de 25 à 40 pour 100, suivant leurs spécialités. Dans la décoration intérieure, le luxe, toujours croissant, a surchargé notablement les dépenses pour l’habitation. En poussant plus loin ce calcul de probabilités, on entrevoit que la somme employée en constructions dans le cours des neuf dernières années doit monter entre 6 et 7 milliards ; c’est le double de ce qui était consacré aux mêmes besoins avant la guerre. N’oublions pas qu’il s’agit ici de Paris seulement, et qu’un mouvement analogue s’est prononcé avec plus ou moins d’intensité dans nos villes départementales.