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On a donc travaillé comme si la société française s’était subitement et généralement enrichie, et, en effet, le nombre était grand, à Paris surtout, de ceux qui participaient au gonflement éphémère des valeurs de Bourse. Malheureusement les spéculateurs, une fois lancés, payant de plus en plus cher terrains, matériaux et main-d’œuvre, ont combiné leur plan de manière à présenter sur le papier, aux yeux de leurs commanditaires, des chiffres rémunérateurs. Ils ont distribué les locaux dans les maisons nouvelles sans se préoccuper des tendances et des ressources effectives de la population. Ils n’ont pas remarqué que, sur 74,740 maisons recensées en 1878, où l’on comptait alors 684,952 locaux consacrés à l’habitation, on n’avait trouvé que 15,000 appartemens de 3,000 francs et au-dessus.

I! est très important de faire remarquer que les chiffres consignés ci-dessus sont ceux des contributions directes, qui diminuent de 20 pour 100 le prix effectif des loyers : il faut donc les augmenter d’un quart pour établir le prix réel. J’ai tenu compte de cette majoration dans les calculs résumés ici qui donnent le chiffre fiscal, relevé de 25 pour 100, c’est-à-dire le coût réel des locations à Paris. Les gens en mesure de payer largement le confortable ont accepté les augmentations sans y regarder, les propriétaires se sont montrés d’autant plus exigeans qu’ils rencontraient moins de résistance, et la plus-value des locations, considérée comme un fait normal, s’est étendue de proche en proche depuis les hôtels jusqu’aux taudis. Les 468,000 logemens au prix moyen de 226 francs, les 74,000 logemens au prix moyen de 458 francs, qui ont été recensés il y a cinq ou six ans[1], existent bien encore, mais les prix ont été surfaits : les fragiles budgets des pauvres ménages sont dérangés, et c’est ainsi qu’est née cette grosse difficulté qu’on appelle la crise des loyers.

Un autre résultat du phénomène que nous étudions est d’une importance sociale considérable, trop peu remarquée, quoique bien digne d’attention : c’est l’influence sur l’économie agricole des hauts salaires grandissant toujours dans les villes. De tout temps, le séjour des villes a fait rêver les habitans des campagnes. Cette attraction vers les grands centres industriels n’est pas un mal quand

  1. Les chiffres ci-dessus se rapportent au recensement publié en 1878. On vient de fournir au conseil municipal de Paris les relevés nouveaux en rapport avec l’état actuel. Il ressort de ce document que le nombre des maisons est actuellement de 76,129, comprenant 699,175 logemens d’habitation. Les appartemens de 3,000 francs et au-dessus n’atteignent pas encore le nombre de 18,000. Quant aux petits logemens, on en compte aujourd’hui 472,775 de 300 francs et au-dessous, soit un prix moyen de 246 francs et 77,046 de 300 à 500 francs, soit un prix moyen de 482 francs.