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En analysant, comme j’ai essayé de le faire, les phénomènes subtils de la circulation monétaire et de la variation des prix, il y a un écueil à éviter. Il faudrait craindre de fournir un thème de plus aux théories insensées, aux déclamations menaçantes contre le capital, qui, loin de servir la cause du salariat, sont un des obstacles à son émancipation. Que la différence soit bien établie entre le capital, sincère, effectif, provenant du travail et retournant au travail pour le féconder au profit de tous, et cette capitalisation menteuse improvisée par l’agiotage, qui agit pendant quelques jours à l’égal de la vraie richesse et ne laisse que des ruines lorsqu’elle disparaît. Le premier est le nerf de toute vitalité, l’instrument essentiel du progrès, les nations lui doivent leur ennoblissement et un bien-être qui se généralise à mesure qu’il se multiplie ; l’autre, créant une puissance d’achat artificielle et passagère, n’intervient dans les transactions que pour fausser l’équilibre des prix et déterminer cet enchérissement de toutes choses qui devient un danger social par les souffrances qu’il occasionne.

Après avoir décrit, dans leurs causes et dans leurs effets, ces explosions d’agiotage qui prennent un caractère maladif et aboutissant à des catastrophes, on doit se demander comment le monde des affaires revient, sinon à l’état antérieur, du moins à une modération des prix qui atténue l’effet funeste de l’enchérissement. Il est incontestable théoriquement qu’une demande moins active résultera de l’amoindrissement des revenus et des ressources pour acheter. Après le krach, la baisse; mais l’effet ne saurait être immédiat ni général. La baisse est enrayée par l’exécution des baux, des contrats, des engagemens commerciaux auxquels on ne peut se soustraire. Pour les loyers d’habitation et de commerce, les variations sont lentes. Pour les marchandises, il y a la résistance des vendeurs qui se sont approvisionnés à des cours élevés et qui luttent pour éviter la perte. La chute des prix se déclare d’abord sur les articles de luxe, où elle est ruineuse; elle s’atténue, suivant les spécialités plus ou moins utiles, et devient presque insensible sur les denrées qui répondent à des besoins irréductibles. Les petits employés et les ouvriers qui considèrent toute progression des salaires comme un droit acquis, finissent par se résigner à des réductions plutôt que de subir des chômages. Pour ceux-ci, d’ailleurs, il y a bientôt une sorte de compensation dans un adoucissement du prix des subsistances résultant d’une moindre concurrence entre les acheteurs.

En thèse générale, la dépréciation est proportionnelle au resserrement des affaires. A l’affaissement qui a suivi le krach de Vienne en 1873, les maisons et les terrains ont perdu la moitié au moins de la plus-value qu’ils avaient conquise. Après le krach français,