Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils l’ont fait, ils n’ont prouvé qu’une chose, laquelle n’avait pas besoin d’être prouvée, c’est qu’ils ne comprenaient ni les besoins permanens ni les nécessités présentes de notre politique, avec un peu plus de largeur dans l’esprit et un peu moins d’égoïsme au cœur, ils auraient vu se manifester depuis une douzaine d’années parmi nous des aspirations, d’abord assez vagues, mais qui chaque jour se précisaient, vers le développement de notre expansion extérieure.

L’impulsion était partie de haut. Presque au lendemain de nos désastres, l’Institut, obéissant à la plus heureuse et à la plus féconde inspiration, avait mis au concours l’étude de la colonisation chez les peuples modernes, et le sujet avait été traité de main de maître, dans un livre qui restera, par M. Paul Leroy-Beaulieu. Au même moment, la France tout entière s’éprenait avec une vivacité singulière d’une science qu’on lui reprochait sans cesse de ne pas connaître : la géographie. A force d’entendre répéter qu’elle ne la savait pas, — ce qui était vrai, — et qu’elle ne l’avait jamais sue, — ce qui était faux, — elle s’est appliquée à l’apprendre ou à la rapprendre avec l’ardeur passionnée qu’elle apporte en toutes choses. Le pays s’est couvert de sociétés de géographie; il en a surgi partout, depuis les grands centres industriels et maritimes jusqu’aux plus petites villes; les géographes, qui avant la guerre étaient des êtres exceptionnels, qu’on ne regardait pas sans quelque surprise, ont pullulé comme les étoiles du ciel et le sable de la mer ; les librairies ont regorgé d’ouvrages géographiques, on en a inondé les écoles, ils sont devenus les livres d’enseignement et de propagande par excellence; quant à la littérature de voyages, si longtemps réputée littérature ennuyeuse, elle a pris un développement tel qu’elle ne produit guère moins aujourd’hui que la littérature de romans et d’œuvres légères. En même temps, les missions scientifiques, industrielles, commerciales se sont multipliées presque à l’infini. On a vu les chercheurs d’aventures africaines et asiatiques devenir chaque jour plus nombreux et plus hardis. Fatigue de la réputation qu’on lui a faite et qu’il a si longtemps méritée, d’être casanier, le peuple français s’est mis à vivre, par ses actions aussi bien que par ses études et par ses distractions, sur tous les points du globe. L’entraînement a été si vif que d’anciens négocians, d’anciens tailleurs, se sont lancés en éclaireurs dans les contrées les moins connues de l’Afrique. Sans doute, il y a eu beaucoup de victimes parmi ces hommes courageux, qui n’étaient pas tous bien préparés à leur tâche; il y en aura encore beaucoup. Mais qu’importe! Le fait important, significatif, décisif même, c’est le goût voyageur, c’est l’amour des grandes entreprises qui ont gagné toutes les classes