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Les soldats de Condé eurent plus d’une des vertus militaires, le mépris de la mort, la fidélité au drapeau, la résignation dans les souffrances ; mais il leur manqua la conscience juste de la discipline, la foi en eux-mêmes, l’enivrement de la guerre. Les rudes paysans de la Vendée, plus audacieux après chaque victoire, plus acharnés après chaque défaite, se ruaient à l’ennemi avec l’élan furieux d’un peuple fanatisé. Les Condéens, d’intelligence trop éclairée et d’esprit trop affiné pour être accessibles à de telles exaltations, servaient sans zèle et combattaient sans feu. Sur la Loire c’était un corps de nation armé pour la religion; sur le Rhin, c’était une poignée de gentilshommes, sceptiques et désabusés, obéissant au seul sentiment de l’honneur. Ce qui manqua surtout aux Condéens, ce fut l’entrain, la gaîté, la bonne humeur contre la mauvaise fortune, sans quoi le métier des armes est le plus pénible des métiers. Il semble qu’à servir dans les armées étrangères, les émigrés eussent perdu ces dons suprêmes du soldat français, qui non-seulement supporte les épreuves, mais les défie et les nargue. Aussi les sept années passées au corps de Condé ne laissèrent point de chers souvenirs à Jacques de Thiboult ni sans doute à ses compagnons d’armes. Tandis que tous les vieux soldats se complaisent bien souvent à revivre leurs campagnes, jamais, jamais, pas un jour, M. de Thiboult n’a pu penser sans amertume au temps où il était fourrier sur les bords du Rhin, à la solde de l’Autriche, au fond de la Wolhynie, à la solde de la Russie, sur la frontière suisse, à la solde de l’Angleterre. C’est là la condamnation, à défaut d’une autre, de cette vaillante, inutile et malheureuse armée de Condé.


II.

Cet entrain et cette bonne humeur, qui font si complètement défaut au volontaire de Condé, ne manquent point au jeune abbé, caporal dans la 35e demi-brigade. Et pourtant, ce n’est certes pas par enthousiasme ou par devoir que cet échappé du séminaire, déjà investi des ordres mineurs, se fit en pleine Terreur soldat de la république. En ce temps-là, le sacerdoce était plus périlleux que la guerre, et c’était parfois une sauvegarde pour une famille d’avoir un fils à l’armée. L’abbé C... ne tenta donc pas de se soustraire au service militaire, il fut incorporé, en septembre 1793, dans un bataillon de réquisition du département de l’Aisne. Encore qu’il eût pris bravement son parti, il dut faire appel à toute sa fermeté au moment du départ. « Nous avions le cœur bien gros, écrit-il dans la première de ses lettres, en quittant nos parens, nos amis; mais peu à peu, la marche au tambour fit diversion à nos chagrins et enhardit les plus timides. » Après trois ou quatre étapes, le détachement arriva