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Ce qui plaît chez l’abbé C..., c’est que non-seulement il manœuvre et combat comme un bon soldat, mais qu’aussi il juge et il parle en vrai soldat. Il sait que, pour une armée, tout reste à faire quand tout n’est pas fait. Il ne joue pas au foudre de guerre et n’a garde de chanter Te Deum pour une demi-victoire. Il ne se dissimule pas les périls et les difficultés de la campagne, mais il les regarde avec assurance. Il n’a pas d’illusions, il a une confiance inébranlable : « Jusqu’à présent, écrit-il, l’ennemi a respecté notre inexpérience.... il n’y a eu encore, écrit-il plus tard, que de petites escarmouches, bonnes seulement à tenir la troupe en haleine. Mais, selon toute apparence, les choses vont prendre d’ici à peu une tournure autrement sérieuse. » Lorsqu’il raconte l’affaire du pont de La Buissière (12 mai 1794), où sa brigade, d’abord victorieuse, soutint seule la retraite de l’armée, l’abbé ne se fait point mérite de sa conduite ; il dit simplement : « A bientôt la revanche ! » Et le lendemain, placé en sentinelle sur le bord de la Sambre, il raille l’allure matamoresque des soldats hollandais qui occupent l’autre rive, « Ces gens, qui n’ont pas tiré un coup de fusil la veille, prennent des airs vainqueurs qui nous agacent singulièrement... Malgré quelques succès partiels, l’ennemi pourrait bien se trouver prochainement fort embarrassé. » Le 21 mai, les Français passèrent la Sambre et occupèrent la route de Mons après un combat meurtrier, où la 35e demi-brigade arrêta par ses feux de pelotons la cavalerie autrichienne qui la chargeait à revers. Mais, selon l’abbé, le résultat obtenu n’est point suffisamment décisif. « La ligne ennemie a plié sans se rompre... C’est à recommencer. » On recommença si bien qu’on mena les Autrichiens jusqu’à Fleurus.

Atteint d’une fièvre putride maligne, l’abbé dut quitter l’armée quelques jours avant cette bataille, — mais avec quels regrets ! La lettre suivante en fait foi : « Depuis quelque temps, ma santé était gravement affectée. Mais j’étais si convaincu que la forte organisation de notre infanterie finirait par assurer le succès de nos armes, j’étais si désireux de prendre part à cette revanche que je ne voulais pas entendre parler d’hôpital. J’espérais toujours prendre le dessus, car je pensais à une victoire décisive. Déjà, en effet, nous avions repris l’offensive et pénétré dans les Pays-Bas autrichiens lorsque, vaincu par le mal, je fus obligé d’accepter un billet d’hôpital... » Evacué sur Maubeuge, puis sur Avesnes, puis sur Marie, et menacé d’être transporté ainsi d’hôpital en hôpital jusqu’à Orléans, il put prévenir sa famille, qui obtint facilement l’autorisation de le faire soigner dans ses foyers. Il y resta, avec un congé d’infirmités temporaires, renouvelé d’année en année, jusqu’en 1798. Il venait d’accepter l’emploi de précepteur, lorsque brusquement, le 15 août 1798, il reçut une