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Dieu voudra, mais les Autrichiens nous croient plus malades que nous ne le sommes. »

Après le traité d’Amiens, l’abbé reçut son congé de libération. La paix semblait assurée pour longtemps. Les églises étaient rouvertes. L’ancien séminariste revint à sa vocation première[1].


III.

Dans la matinée du 24 août 1792, les gardes nationales du canton de Château-Villain étaient réunies sur la place publique. Il s’agissait d’appeler des volontaires en exécution de la loi du 11 juillet, qui mettait en activité permanente tous les citoyens faisant partie de la garde nationale et obligeait les compagnies à choisir dans leurs rangs, au prorata des contingens demandés, les hommes devant d’abord rejoindre les armées. Nonobstant la proclamation de la patrie en danger, l’élan était faible et l’enthousiasme maigre parmi les gardes nationaux de la Haute-Marne ; ils ne paraissaient pas empressés de « voler à la frontière, » selon le mot du temps. Déjà la demie d’une heure avait sonné et les diverses compagnies, d’un effectif moyen de 160 hommes chacune, n’avaient pas encore présenté un seul volontaire. On allait sans doute être forcé de recourir au tirage au sort, lorsqu’un jeune jardinier, qui, pendant plus de deux heures, s’était tenu silencieux dans le rang, non par crainte, mais par modestie, se décida à donner l’exemple. Ce garçon, qui portait le nom typique de Fricasse, avait reçu quelque instruction et lisait les gazettes avec assiduité; c’était un fervent républicain. Fricasse se présenta donc à la tête de sa compagnie et demanda si on l’acceptait comme volontaire. Il partit le 2 septembre avec le 1er bataillon de grenadiers et chasseurs de la Haute-Marne.

Quelle que fût la fièvre qui régnait alors, on menait la guerre moins vite qu’aujourd’hui. Les mobiles de 1870 ont vu parfois le feu un mois après leur incorporation ; les volontaires de 92 et les réquisitionnaires de 93 n’étaient généralement mis en ligne qu’après avoir passé six mois ou un an dans les camps. Une année entière s’écoula avant que le bataillon de Fricasse fût appelé à combattre (aux affaires de Landrecies et de Maubeuge, 12 et 29 septembre 1793). Jusqu’au moment où il rejoignit l’armée du Nord, au camp d’Avesnes, il cantonna à Saint-Dizier et à Metz. Pendant toute cette période, on

  1. L’abbé C... devint vicaire général du diocèse de Soissons et mourut chanoine de la cathédrale. La plupart de ses paroissiens ignoraient sans doute qu’il eût si bravement porté le fusil et si gaîment porté l’uniforme.