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En quittant le château d’Onzain, où Catherine le tenait si étroitement enfermé, Condé était déjà à demi ébranlé. « Le petit homme à qui j’ai parlé, écrivait le prince de La Roche-sur-Yon, a grande envie de voir finir ces troubles et s’accommodera de tout[1]. » Catherine ne l’ignorait pas ; elle avait d’ailleurs toujours exercé sur Condé une grande influence. L’année précédente, à l’entrevue de Thoury, il s’était mis à sa discrétion, et si l’amiral Coligny ne l’avait point, un peu de force, ramené au camp des protestans, la paix aurait été conclue dès lors. Dans cette nouvelle conférence, Catherine, tour à tour insidieuse et caressante, fit un si éloquent appel au patriotisme du prince; elle fit si habilement miroiter à ses yeux l’espoir de prendre le haut rang qu’avait occupé son frère, le feu roi de Navarre, et auquel lui donnait droit son titre de premier prince du sang, qu’au lieu de réclamer le retour pur et simple à l’édit de janvier, il accepta qu’on y introduisît quelques nouvelles conditions. D’un commun accord, le connétable alla coucher au camp des catholiques, Condé à Orléans, « l’esprit déjà prisonnier, » suivant l’heureuse expression de d’Aubigné.

L’homme d’action, le grand capitaine, allait se trouver dans cette ville en présence des soixante-douze ministres dont Théodore de Bèze était le chef, tous aigris par les souffrances, fanatisés par la persécution et représentant, il faut bien le dire, la partie la plus ardente, la plus démocratique de la réforme. L’orgueil de Condé se raidit contre leurs récriminations et leurs exigences. Laissant de côté ces théologiens intraitables, il s’adressa à ses anciens compagnons d’armes. Tous ces gentilshommes qui avaient suivi sa fortune étaient lassés comme lui de cette longue guerre, ils n’aspiraient qu’au repos, qu’à rentrer au foyer domestique, ils acceptèrent à l’unanimité les conditions qu’il leur apportait. Le 12 mars, les articles de la pacification furent arrêtés; le 19, promulgués à Amboise et, le 22, publiés au camp de Saint-Mesmin. Le 23, sauf quelques légères modifications demandées et obtenues par Coligny à son retour de Normandie, l’édit était signé, et, le 1er avril, ayant à sa droite le cardinal de Bourbon et à sa gauche Condé, Catherine entrait à Orléans. Quelques jours plus tard, Condé la suivait à Amboise.

Cette vie de cour, pour laquelle il semblait fait et dont il venait d’être si longtemps privé, était pleine de pièges et de séductions. « Ces filles d’honneur, s’écrie Brantôme, étoient toutes bastantes pour mettre le feu par tout le monde ; aussi en ont-elles brûlé en bonne part autant de nous autres, gentilshommes de cour, que d’autres qui ont approché de leurs feux. » « Vous devriez, Madame,

  1. Duc d’Aumale, Histoire des princes de Condé, t. Ier, p. 399, d’après les archives de la maison de Condé.