Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/646

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en signant la paix d’Amboise, y avait fait insérer une clause dont seule elle avait mesuré toute la portée : l’exclusion des étrangers. Cette clause, elle entendait l’appliquer aussi bien aux Allemands affamés qui s’attardaient en nos provinces et s’enrichissaient de leurs dépouilles qu’aux Anglais, maîtres encore de la place du Havre, que les protestans, en 1562, leur avaient livrée. La reine d’Angleterre, Elisabeth, était trop clairvoyante pour n’avoir pas tout d’abord deviné la pensée secrète de Catherine. Coligny eut beau lui écrire de Caen, le 19 mars 1563, que toute délibération en ce qui la concernait avait été ajournée jusqu’à son arrivée à Orléans; pour toute réponse, elle s’en tint à l’observation des conditions qu’elle avait arrêtées avec les protestans. Si elle n’alla pas, comme Calvin, jusqu’à traiter Condé de misérable, du moins elle lui écrivit que, « pour l’exemple du monde, elle espéroit n’avoir pas à lui reprocher son ingratitude. » Catherine, elle, suivait inflexiblement son but : reprendre Le Havre aux Anglais et garder Calais, qu’aux termes du désastreux traité de Cateau-Cambrésis elle était tenue de rendre dans le délai de huit années. Son rôle était tracé à l’avance : laisser la défiance d’Elisabeth s’accroître contre Coligny et Condé, les ressentimens s’aigrir, et, quand l’heure serait venue, retourner contre l’Angleterre toutes les forces de la France. Elle consentit donc à voir Briquemault, au nom des chefs protestans, porter à Elisabeth des paroles de conciliation, mais sans lui donner aucun pouvoir; c’était l’envoyé de l’amiral et de Condé, et non le sien. A son retour en France, lorsque Briquemault vint lui dire naïvement qu’il aurait pu traiter s’il en avait eu l’autorisation : « A quelles conditions? demanda-t-elle. — En donnant, répondit-il, pour otages le duc d’Anjou, le roi de Navarre, et le prince de Condé. — Rien que cela? reprit-elle en souriant ironiquement, vous avez besoin de repos, bon homme, retournez en votre logis; nous autres, nous ne perdrons pas notre temps. »

Coligny et d’Andelot refusant de prendre les armes contre les Anglais, il fallait de toute nécessité mettre Elisabeth une dernière fois en demeure de restituer Le Havre : Catherine jeta les yeux sur Robertet, sieur d’Alluie. C’était un tout jeune homme, arrogant, présomptueux, et dans les conditions les meilleures pour provoquer le nouveau refus qu’espérait bien Catherine. A la demande hautaine que d’Alluie lui fit de restituer Le Havre sans plus de délai, Elisabeth, toute rouge de colère, répondit que « Le Havre, en ses mains, c’était la revanche de Calais, qu’elle le garderait, et qu’on verrait bien qui l’emporterait de la Florentine ou d’elle[1]. » La revanche de Calais ! c’était le mot qu’attendait Catherine. Avec ce

  1. Record Office, State Papers.