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besoin ses moyens de défense. Lorsqu’ils la revirent, elle maintint intégralement ses premières dénégations, mais elle avoua qu’elle avait un vrai grief contre le prince de La Roche-sur-Yon. Sur leur demande de le faire connaître, elle répondit : « Lors du séjour de la cour, à Troyes, le prince a dit à Condé : « Vous êtes bien aveugle et bien crédule, si vous croyez que Limeuil soit grosse de vous.» Elle se plaignit également de la princesse de La Roche-sur-Yon, qui n’avait cessé de la tourmenter sur sa grossesse, dont elle voulait s’assurer à tout prix, mais de là à une vengeance il y avait loin. Dans l’intérêt de sa défense, elle raconta que, se trouvant par hasard en nombreuse compagnie avec Maulevrier, elle avait entendu une personne qu’elle ne nomma pas conseiller à Maulevrier, dans l’intérêt de son repos, de se de faire du prince de La Roche-sur-Yon. Mlle de Bourdeille, qui était présente, devait s’en souvenir; puis, prenant l’offensive, elle accusa Maulevrier d’avoir fait une chanson contre la princesse de La Roche-sur-Yon et contre le prince, « qui, en le poursuivant, l’épée à la main, étoit tombé sur un tas de fumier. » Enfin, lorsqu’ils se retirèrent, Isabelle leur remit pour Catherine une lettre qui, certes, ne manquait ni de fierté ni d’énergie : « Madame, disait-elle, après avoir entendu par les sieurs Sarlan et du Puy les raisons qui ont mû Votre Majesté à les envoyer devers moi, cela m’a tellement affligée que, sans l’aide de Dieu et l’espérance que j’ai en votre bonté, je fusse entrée au plus grand désespoir que pauvre créature sauroit être, n’étant si oubliée de Dieu d’avoir conçu ni mis une telle méchanceté dans ma pensée. Quand il aura plu à Dieu vous faire connoître mon innocence, je vous supplie, pour l’honneur de ceux à qui j’appartiens, faire faire une telle justice du faux accusateur, comme j’aurois mérité si j’avois commis une telle faute. »

Entre les affirmations sans preuve de Maulevrier et les dénégations absolues d’Isabelle de Limeuil, l’instruction n’avait pas fait un pas et le temps s’écoulait rapidement. Venteux rappela à Catherine qu’elle s’était engagée vis-à-vis de lui à ne laisser Isabelle qu’un mois à Auxonne et qu’il ne pouvait plus répondre de sa prisonnière. Celle-ci avait, en effet, gagné toutes les religieuses, le basque de Condé avait noué des intelligences avec tous les huguenots de la place, et les murailles du couvent étant très basses, à l’aide de la moindre échelle une évasion était facile. Mise ainsi en demeure de faire changer de prison Isabelle, Catherine chargea de ce soin Claude Gentil, son premier valet de chambre. Lorsque Gentil signifia à Isabelle qu’il avait reçu l’ordre de l’emmener, croyant qu’on voulait l’enfermer entre quatre murailles, elle refusa de sortir du couvent et menaça de se tuer. Intimidé par cette résistance énergique, Venteux hésitait