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lui dit-il doucement; vous offenseriez le Seigneur. Ne lui dites-vous pas tous les jours : que ta volonté soit faite ! Il vous a laissée à moi comme son image, et comme je l’ai aimée sur toutes les femmes du monde, ainsi vous aimerai-je ; mais il ne faut pas que vous soyez seulement image de sa face, mais de son esprit et de ses vertus, car encore qu’elle fût belle de corps, ce n’étoit rien en regard de son âme, qui ne fit jamais office que de chasteté, non plus que ses yeux, son cœur, sa langue, et ses oreilles. » Puis, posant sa main sur la tête blonde de Henri de Bourbon : « Mon fils, vous êtes le premier témoignage de bénédiction et faveur de mariage que Dieu nous a donné à votre mère et à moi. Les fils se conforment ordinairement aux pères, mais vous tâcherez de ressembler aux mœurs et vertus de votre mère ; on vous racontera de votre père et de sa vie choses que ne devez ensuivre et d’autres que vous devez imiter, mais de votre mère, vous ne trouverez rien qui ne soit digne d’être suivi. » L’émotion lui coupant la parole, il ne put continuer. Condé disait vrai : avec Éléonore de Roye s’en était allé le meilleur de son âme, sa plus pure pensée en ce monde.

Une autre mort, plus inattendue, vint jeter Condé dans de nouvelles aventures. Le 4 juillet, Catherine d’Albon, l’unique héritière du maréchal de Saint-André, mourait au couvent de Lonchamps. Des bruits sinistres coururent; à mots couverts, on parlait de poison. L’immense fortune qui passait à sa mère pouvait singulièrement faciliter la réalisation d’un mariage avec Condé. Dès le début, la maladie de la princesse de Condé avait été jugée mortelle, et afin de se ménager le prince, la maréchale lui avait fait donation de la terre et du château de Valéry[1]. À ce moment-là, cette donation avait à la rigueur un prétexte honorable et plausible, Catherine d’Albon devant épouser le fils de Condé; mais, après la mort de cette jeune fille, quand on vit la maréchale de Saint-André non-seulement confirmer cette première donation, mais y ajouter tous les biens laissés par sa fille, l’opinion publique jugea très sévèrement et la donatrice et le prince qui, sans trop rougir, acceptait une injustifiable libéralité. Le château de Valéry à lui seul était un présent royal. Le maréchal de Saint-André y avait entassé « toutes ces superbetés et belles parures de beaux meubles, » comme dit Brantôme, qu’il avait rapportées de ses campagnes d’Italie. A sa mort, la maréchale avait eu la pensée de faire acheter par Catherine de Médicis le riche mobilier de Valéry, et s’était adressé à M. de Fresnes, l’amant de cœur d’Isabelle : « Souvenez-vous de dire à la reine, lui avait-elle écrit, que je ne veux mettre en vente les meubles précieux de M. le maréchal sans savoir s’il lui plaît de

  1. Valéry est situé dans le département de l’Yonne.