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Il devait en être de cette liaison comme de toutes celles de ce genre. L’obstacle excite la passion et la fait vivre; tout au contraire, de trop grandes facilités amènent vite la lassitude, et la rupture n’est le plus souvent qu’une question de mois, quand elle n’est pas une question de jours. Tel était le sort réservé à Isabelle de Limeuil. Arrivée au port, elle rencontra l’écueil. Condé, de lui-même, revint aux protestans. Tous s’étaient mis en campagne pour lui chercher une épouse ; ils la trouvèrent dans Mlle de Longueville, d’une grande beauté, et faisant de longue date, comme Condé, profession de la religion protestante. Au mois de novembre 1565, Condé alla à Niort faire part de son mariage à Catherine. A demi rassurée sur les menées secrètes des protestans ou feignant de l’être, elle autorisa le prince à faire ses noces à la cour, suivant les rites de la religion protestante,

Condé, son portrait l’indique bien, était un de ces hommes qui, sans force de résistance vis-à-vis des femmes, subissent toujours le caprice et la loi de la préférée du moment. Sous l’inspiration bourgeoise de la nouvelle duchesse, il eut la maladresse, pour ne pas dire plus, de réclamer à Limeuil tout ce qu’il lui avait donné, Mme e de Châteaubriant avait reçu jadis pareil message de François Ier, à l’instigation de la vindicative duchesse d’Étampes. Le roi tenait aux présens qu’il avait donnés à sa favorite, non tant pour la valeur des pierreries et des perles que pour l’amour des belles devises que sa sœur Marguerite y avait fait graver. Mme de Châteaubriand les fit fondre et, quand le messager revint les reprendre : « Voici ce que le roi m’avait donné, lui dit-elle; je le lui rends en lingots d’or. Quant aux devises, je les ai si bien empreintes en ma pensée que je n’ai pu permettre que personne en disposât[1]. » D’humeur moins douce et plus maligne, Limeuil fit un paquet de tout ce qu’elle avait reçu du prince; puis, prenant de l’encre et un pinceau, elle planta au beau milieu du front du portrait qu’elle tenait de lui une très apparente paire de cornes, et, remettant le tout au malencontreux ambassadeur : « Tenez, mon ami, portez cela à votre maître; je lui envoie tout ainsi qu’il me le donna. Je ne lui ai rien ôté ni ajouté. Dites à cette belle princesse, sa femme, qui l’a tant sollicité à me demander ce qu’il m’a donné, que, si un seigneur de par le monde (le nommant par son nom) en eût fait de même à sa mère et lui eût ôté tout ce qu’il lui avait donné par don d’amourette, elle seroit aussi pauvre d’affiquets et pierreries que damoiselle de la cour. Or qu’elle en face des pâtés et des chevilles, je les lui quitte[2]. »

  1. Brantôme, édit. L. Lalanne, t. IX, p. 513.
  2. Ibid., p, 511.