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pour ce nouvel agrandissement. A la vérité, les Turcs pourraient exiger que le roi de Prusse se liât avec eux par un traité : il faudrait alors leur répondre évasivement, tâcher de leur persuader qu’ils étaient assez forts pour vaincre seuls, enfin, les assurer que le roi consentirait volontiers à ce traité, mais seulement après la conclusion de la paix.

Dans l’instruction secrète du 3 avril, Hertzberg indique les provinces que la Turquie sera sans doute forcée de céder : nous les avons déjà nommées. Puis, le véritable dessein du ministre apparaît, : la Porte exigera, — et c’est une condition sine qua non, — que l’Autriche rétrocède la Galicie à la Pologne; celle-ci enfin cédera à la Prusse Thorn, Dantzig et certains districts avoisinans. D’ailleurs, Dietz doit prudemment et délicatement donner à entendre aux Turcs que, s’ils refusent les bienfaits de la Prusse, le roi est tout prêt à se joindre à leurs ennemis. Toutes ces négociations seront tenues dans le secret le plus absolu : le roi, Hertzberg et Dietz seront seuls à les connaître, car, avant tout, il ne faut pas se compromettre.

Il fallait, certes, que le roi de Prusse et son ministre se fissent de bien fortes illusions pour charger leur ambassadeur à Constantinople d’entamer des négociations sur ce pied. Ces illusions, Dietz ne les partageait en aucune façon. C’était sans doute que, vivant au milieu des Turcs, il se rendait mieux compte de leurs dispositions, et partant savait mieux quelles propositions pouvaient être faites, comme aussi quelles négociations n’avaient point de chance d’aboutir. Il savait les Turcs convaincus depuis vingt-cinq ans de cette idée que si jamais ils faisaient la guerre à l’Autriche, la Prusse ne manquerait pas une si belle occasion de tomber sur sa voisine, et, suivant Dietz, c’était en effet ce qu’il fallait faire : « .. Jamais la Prusse ne trouvera meilleure occasion de devenir une puissance de premier ordre, n’écrit-il le 8 mars, puis le 8 avril 1788 : « Cela coûtera sans doute quelques années de guerre, mais c’est là un capital bien placé et qui sera recouvré au centuple, parce que la paix de l’Europe et la prépondérance de la Prusse se trouveront assurées. » Cette opinion de Dietz était partagée par la plupart des représentans de la Prusse dans les pays étrangers, et presque partout, on croyait à l’imminence de la guerre. Hertzberg se montra fort peu touché de ces objections : « Vos projets peu pratiques, écrit-il à Dietz, ne sont nullement d’accord avec les intentions de Sa Majesté... Vous refusez de comprendre mon dessein ; mais si vous étiez moins obstiné, vous le loueriez sans réserve. Vous vous exagérez la puissance de la Porte... Ce n’est pas en flattant les Turcs que vous servirez le roi : il faut mettre en jeu d’autres moyens pour avoir prise sur eux. La Porte, qui a recherché autrefois l’alliance de la Prusse, semble maintenant ignorer qu’elle existe.. » Le roi était encore plus pressant. Devant toutes ses instances, Dietz dut s’incliner. De leur côté, les Turcs, plus disposés à la guerre que jamais, refusaient obstinément les bienfaits de leur bon ami le roi de Prusse.