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en post-scriptum : « Je ne sais combien vous avez touché sur la dernière lettre de crédit que je vous ai fait passer. Je vous supplie de garder le reste en attendant que je vous fasse passer une plus forte marque de ma reconnaissance. » La lettre, de 10,000 livres, n’avait pas été touchée; Romme la renvoya « fièrement, » pour ne pas dire insolemment; c’était son droit, et ce trait assurément l’honore. Seulement, M. de Strogonof, encore plus fier, lui ayant renvoyé là-dessus une gratification de 30,000 livres, Romme la garda, cette fois, la trouvant probablement suffisante, et ce trait l’honore moins. Il est vrai de dire que cet argent d’aristocrate reçut une destination éminemment patriotique. Romme s’empressa d’utiliser ses 30,000 livres en acquisitions de biens nationaux.

Une autre acquisition qu’il avait faite, au témoignage d’un homme qui l’a connu personnellement, était celle d’un trésor inépuisable d’envie contre quiconque avait « des talens, des richesses ou de la naissance, » trésor lentement, jalousement accumulé dans l’intimité de ces grands seigneurs qui l’avaient employé, servi, aidé, protégé. Pour édifier sa fortune politique, à la date où il revenait se fixer en Auvergne, il n’en fallait pas davantage. On était, en effet, à la veille de la séparation de l’assemblée constituante. Le trait étant commun à tous les démocrates, il est sans doute inutile d’y insister longuement. Contentons-nous donc de noter, une fois de retour dans sa province, la facilité singulière et redoutable avec laquelle Romme passe outre à toute espèce de considérations de légalité, de justice, d’humanité, toutes les fois qu’il s’agit de toucher un but qu’il s’est proposé. S’il veut se faire nommer officier municipal à Gimeaux, qu’il a choisi pour centre de ses manœuvres électorales, peu importe qu’il ne réunisse pas les conditions; que le temps exigé pour le domicile légal, par exemple, lui manque, et que, bien loin d’être éligible, il ne soit pas même électeur dans la commune qu’il prétend administrer; les lois ne sont pas faites pour un si ardent patriote, il sera tout de même officier municipal. Mais s’il veut faire de son frère, Jean-François Romme, un curé constitutionnel, peu importe qu’il n’y ait pas de cure à Gimeaux et que, pour des raisons plus ou moins justifiées, les propriétaires des environs s’opposent à ce qu’il y en ait une; peu importe même que, parmi ces propriétaires, il y ait de ses anciens amis et de ses anciens protecteurs; il les dénoncera comme aristocrates, quoi qu’il puisse advenir de la dénonciation, et Gimeaux aura sa cure, et Jean-François Romme en sera le curé. La coïncidence est toujours parfaite, comme on le voit, entre ses intérêts personnels et ses démonstrations patriotiques. C’est à l’autorité que de semblables procédés finissent toujours par conquérir à ceux qui n’y répugnent pas que Gilbert Romme dut son élection de député du Puy-de-Dôme à l’assemblée législative, le 7 septembre