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d’être consultée, l’Exposé des motifs est bien digne aussi d’être cité. La proclamation de la république ayant coïncidé avec l’équinoxe d’automne, un « savant » comme Romme ne pouvait manquer à tirer de cette coïncidence des effets inattendus. « L’égalité des jours et des nuits, s’écriait-il donc, était marquée dans le ciel, au moment même où l’égalité civile et politique était proclamée par les représentans du peuple... Le soleil a éclairé à la fois les deux pôles, le même jour où pour la première fois a brillé sur la nation française le flambeau de la liberté... Le soleil a passé d’un hémisphère à l’autre le jour où le peuple a passé du gouvernement monarchique au gouvernement républicain » Avec tout ce que nous savons du fanatisme de Romme, il ne nous manquait qu’un témoignage de sa sottise : il me semble que nous l’avons. On en pourrait apporter bien d’autres ; mais il vaut mieux passer rapidement, de peur qu’en montrant le personnage plus ridicule nous ne le montrions moins odieux.

Rappelons-le donc plutôt demandant la peine de mort contre un de ses collègues soupçonné d’avoir fait un approvisionnement de rhum, laissant conduire à l’échafaud les protecteurs de sa jeunesse, et finissant, après thermidor, par se sentir tenté de prendre la défense de Carrier : « Tout est coupable ici, — disait dans un accès de fureur et d’éloquence l’ancien proconsul de Nantes, — tout jusqu’à la sonnette du président. » Est-ce la force de la vérité qui fit sortir Romme ce jour-là de sa « réserve habituelle? » Il est au moins certain qu’il porta la parole contre les conclusions de son propre rapport, et il est encore plus certain que les Romme et tant d’autres avaient seuls pu rendre les Lebon et les Carrier possibles. Aussi, quoique moins universellement connus, il n’est que juste qu’on les tire de l’ombre pour leur faire partager la réprobation de ces noms fameux. Pas plus, en effet, que leurs collègues de la plaine ou du marais pendant les jours de la terreur ils ne s’étaient contentés de vivre: ils avaient aussi voté, et j’ose dire qu’on l’oublie trop facilement.

Quelques mois plus tard, l’insurrection du 1er prairial éclatait. Vingt lignes de narration sont ici nécessaires. Dès cinq heures du matin, des placards affichés sur les murs ou répandus à la main avaient invité les faubourgs à descendre en armes sur la convention. La salle des séances une première fois forcée, vers onze heures, puis évacuée, est de nouveau forcée, vers deux heures, et cette fois envahie par une multitude d’où sortent alternativement les cris de : Du pain et la constitution de 93! et de : Vive la Montagne! Vivent les Jacobins! Trois présidens, se succédant au fauteuil, essaient vainement de se faire entendre. Le tumulte va croissant, les injures, les coups, tandis que, réfugiés sur les gradins supérieurs, les députés attendent silencieusement que l’émeute s’épuise d’elle-même ou que les sections fidèles viennent les