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violemment le pouvoir passé aux mains des hommes de thermidor, il ne semble pas que l’on puisse hésiter davantage sur le caractère de l’insurrection de prairial et nous ne saurions qu’y voir une tentative ou un attentat de la même nature.

Toute la question se trouve ramenée de la sorte à celle de savoir dans quelle mesure les Derniers Montagnards ont connu le secret du nouvel et sanglant effort que les faubourgs allaient faire pour eux. C’est pourquoi tous leurs apologistes et tous leurs défenseurs se sont efforcés de prouver que Romme et Soubrany, Bourbotte et Duroy, Goujon et Duquesnoy, le 1er prairial au matin, ont été comme qui dirait les derniers informés de ce qui se passait aux abords de la convention. On a seulement oublié de nous dire par où la populace du faubourg Saint-Antoine était descendue sur les Tuileries pour que Romme, qui logeait rue Neuve-da-Luxembourg, et Soubrany, rue Saint-Honoré, n’aient rien perçu de la course, du tumulte et des clameurs d’une foule en armes. Romme, tel que nous le connaissons, avec son absence de scrupules, son penchant aux moyens violens, et sa tartuferie jacobine, était parfaitement capable d’avoir trempé dans l’émeute et de n’en affecter l’ignorance qu’à dessein prémédité. En admettant toutefois, et c’est la plus favorable hypothèse, qu’il n’eût pas de ses propres mains préparé l’insurrection, et que, s’étant contenté d’y pousser obliquement, il s’en fût remis du détail (du jour même, si l’on veut), sur les orateurs des clubs et les agitateurs des rues, il n’est pas douteux qu’une fois le mouvement éclaté, ses amis et lui, dans la séance du 1er prairial, tâchèrent de s’en emparer et de le faire aboutir à une reconstitution du terrorisme montagnard. Il ne s’en fallut, comme on l’a vu, que de quelques minutes qu’ils y réussissent.

C’est encore pourquoi leurs apologistes et leurs défenseurs cherchent ici à nous donner le change. Accuser Romme ou Soubrany d’avoir voulu détruire la république, s’écrient-ils, quelle apparence! Mais ce n’est pas là le point. On ne les accuse pas aujourd’hui d’avoir voulu détruire la république, on les accuse d’avoir voulu la confisquer par la violence à leur profit. D’autres ont prétendu que, pour épargner un nouveau crime aux assassins du député Féraud et prévenir le massacre peut-être de la convention tout entière, les Derniers Montagnards, animés de la folie du martyre, se dévouèrent pour le salut de leurs collègues à des représailles qu’ils prévoyaient, mais dont la pressentiment ne put cependant modérer l’ardeur de leur patriotisme. J’ignore si cela peut se dire de Bourbotte, ou de Goujon, ou des autres; nous ne les connaissons pas assez, ou du moins, pour ma part, je ne crois pas les connaître assez. Mais cela ne peut assurément pas se dire de Romme, l’un des plus impitoyables fanatiques de la convention, et dans la vie tout entière duquel, — il avait quarante-cinq ans, — son biographe