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profits et que pour elle surtout il s’agirait de l’existence. Qui donc se chargerait de donner le signal de cette guerre cruelle et inutile dont la seule perspective inquiète l’opinion européenne? Serait-ce par hasard la France qui prendrait la redoutable initiative d’un nouveau conflit? Les journaux allemands peuvent seuls le dire en dénaturant et en exploitant les moindres incidens, en allant ramasser dans quelques feuilles obscures des déclamations qui, parmi nous, pussent inaperçues. La France n’est sûrement ni intéressée, ni disposée à troubler cette paix dont tout le monde parle comme si elle était menacée. Si la France avait les desseins qu’on lui prête sur le continent, elle n’irait pas s’embarrasser dans des actions lointaines. Loin d’avoir des intentions provocatrices, de méditer des agressions, notre pays ne relève même pas toujours les défis mal déguisés qu’il reçoit, et il ne déploierait les forces, dont après tout il ne cesse pas de disposer, que s’il y était obligé, s’il était lui-même réduit à se défendre dans son indépendance ou dans sa dignité. La France ne songe à attaquer personne, les autres puissances assurent qu’elles ne veulent point attaquer la France. On peut donc, jusqu’à un certain degré, être tranquille; il y a bien des raisons pour que les pessimistes se trompent encore une fois dans leurs sombres prédictions.

Non sans doute, quelles que soient les apparences, il n’est pas dit que la guerre éclatera inévitablement au printemps. Il n’est pas dit que la raison doive plier devant la force, que tous les intérêts qui demandent la paix, qui conspirent pour elle doivent nécessairement être sacrifiés aux passions et aux ambitions qui rêvent sans cesse de nouveaux conflits. Ce qui reste vrai, c’est que depuis longtemps l’état de l’Europe est si peu assuré, si précaire et si obscur, qu’il prête à toutes les conjectures, à toutes les prévisions comme à toutes les inquiétudes; on s’est accoutumé à tout craindre parce qu’on a fini par croire tout possible. Ce qui est plus vrai encore et plus sensible pour nous, c’est que la France, quoi qu’il arrive, demeure pour le moment dans cette situation dont elle ne peut se dissimuler la gravité et les dangers, qui se caractérise par l’isolement pour elle, par une sorte de coalition formée autour d’elle. Que cette situation ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier, qu’elle soit le résultat d’une série d’événemens, de causes générales ou d’une certaine force des choses, nous le voulons bien ; elle tient malheureusement aussi à des causes plus particulières et plus saisissables, à des erreurs de direction, à des aveuglemens de partis, aux fautes des gouvernemens et des chambres, et c’est ici justement que cette question de notre situation extérieure se lie intimement, profondément à la politique intérieure de la France. La vérité est que, depuis assez longtemps, au lieu d’avoir les regards toujours fixés sur les intérêts supérieurs et permanens de la France, au lieu de tout subordonner à ces intérêts, les républicains et les ministères