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étoit nulle, et il croyoit tout savoir et en tout genre, et cela étoit d’autant plus pitoyable que cela lui étoit venu avec ses places, et que cela étoit moins présomption que sottise, et encore moins vanité, dont il n’avoit aucune. Le rare est que le grand ressort de la tendre affection du roi pour lui étoit cette incapacité même. Il l’avouoit au roi à chaque pas, et le roi se complaisoit à le diriger et à l’instruire, en sorte qu’il étoit jaloux de ses succès comme du sien propre. »

Pendant les huit années que dura son administration, Chamillart dut assurer le paiement de 1,462 millions de dépenses, et les revenus ordinaires sur lesquels on opérait des prélèvemens de plus en plus considérables, par suite des opérations onéreuses de Pontchartrain, ne fournirent qu’un produit net de 306 millions : il fallut donc qu’il pourvût à un déficit de 1,156 millions. Il eut du moins le mérite de ne se faire aucune illusion sur les progrès rapides du désordre financier. Il ne songea pas à dissimuler au roi l’état de ses finances : il n’atténua en rien une situation dont la gravité devenait de jour en jour plus inquiétante. Par sa ferme sincérité, par son désintéressement, par l’indépendance et même l’élévation du jugement qu’il porte sur la politique et sur la guerre, il surprend la sympathie de ceux qui étudient son administration, ou tout au moins il désarme leur sévérité.

On lit dans un rapport qu’il adresse au roi le 16 octobre 1706 : « Toutes ces dépenses extraordinaires, jointes à la disproportion des fonds à la dépense ordinaire, me firent connaître que le temps fatal approchoit, auquel, manque d’argent, il ne seroit plus possible de continuer la guerre, et que, si les ennemis ne vouloient pas la paix. Votre Majesté seroit obligée de la recevoir aux conditions qu’il leur plairoit la lui donner. »

Dans un autre rapport du 17 septembre 1707, il écrit[1] : « On pourroit soutenir la dépense jusques au mois de septembre 1708, y compris le reste de cette année avec 170 millions. Il n’y a guère d’homme sensé en France qui, avec rien, voulut se charger d’une pareille dépense,.. c’est donc sur ce rien qu’il faut faire un projet et soutenir le royaume. J’avoue que j’ai voulu plusieurs fois le commencer, que les forces et les lumières m’ont manqué : Dieu seul peut éclairer et conduire celui qui pourra y parvenir… Si j’avois une grâce à demander à Votre Majesté, ce seroit celle de pouvoir me soulager d’un fardeau que je ne puis soutenir, et de me permettre de réfléchir dans quelque coin du monde, avec un peu plus de tranquillité, à ce qui peut dégoûter des grandeurs que je n’ai connues que pour en être rebuté. Votre Majesté me doit rendre

  1. Correspondance du contrôleur-général et des intendans, tome II. Appendice, p. 474 et 475.