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édit d’octobre 1713 ordonna que toutes les rentes seraient converties en nouveaux contrats au denier 25 (4 pour 100) et qu’en outre elles seraient divisées en plusieurs classes, suivant la date et les conditions de leur constitution primitive, leur prix d’achat, leur cours actuel. Les plus favorisées furent remboursées intégralement en contrats nouveaux et ne subirent que la réduction résultant de la substitution du taux du denier 25 à l’intérêt plus élevé auquel elles avaient droit : les autres furent réduites en capital, du quart, de moitié ou des deux tiers ; on crut seulement devoir ajouter à leur capital ainsi liquidé les deux années d’arrérages qui ne leur avaient pas été payées. La charge annuelle des rentes fut diminuée de 14 millions et leur capital nominal fut réduit de 135 millions. Comme on promettait aux rentiers qu’à ces conditions onéreuses ils seraient intégralement payés à l’avenir, on ne craignait pas de leur dire « qu’on assurait leur sort[1] ; » et, pour justifier cette violation manifeste du contrat, on alléguait que, les usuriers profitant de la détresse publique pour exiger des intérêts exorbitans, la plupart des rentes avaient été acquises à vil prix par leurs détenteurs actuels, et quelques-unes en échange de valeurs déjà dépréciées.

Néanmoins, et quelles que fussent les défiances et les inquiétudes causées par l’édit d’octobre 1713, on put encore emprunter, en 1714, 22 millions, mais partie au denier 16 et partie au denier 12 : la paix étant alors définitivement conclue avec toutes les puissances, le livre de la dette publique fut fermé, au moins momentanément.

À ces emprunts en rentes perpétuelles se joignirent des emprunts en rentes viagères, au denier 10, pour une somme de 67 millions : l’intérêt était élevé ; mais, du moins, il comprenait l’amortissement de la dette, qui devait décroître successivement et s’éteindre par la mort des rentiers. Quelques-unes de ces rentes viagères furent

  1. Mallet, premier commis du contrôle-général, dit dans ses Comptes (page 151) : « Je ne puis me dispenser d’avouer que cet arrangement fut mal reçu du public ; mais on doit convenir aussi avec moi que la plus grande partie des rentes réduites avaient été levées à un titre onéreux pour le roi, et que c’étoit assurer le sort des rentiers, que de retrancher près de 14 millions sur le montant des arrérages annuels ; que le retranchement des 2/5e a opéré une décharge considérable au profit du roi, et que si M. Desmarets avoit attendu pour frapper un coup aussi important que la paix générale eut été faite, il y auroit trouvé plus d’opposition ; car ce n’est que dans les temps de besoin et d’épuisement qu’il est permis au ministre de faire des coups aussi hardis, parce qu’un chacun se prête plus aisément à une situation qui lui est connue, qu’il ne se prêteroit dans des temps moins difficiles. » — Mais Forbonnais, qui écrivait au milieu du XVIIIe siècle, fait remarquer avec raison (tome II, page 254) : « qu’en pareil cas, l’état perd encore plus que les rentiers, puisqu’il se met dans l’impossibilité de faire de longtemps usage du crédit… L’augmentation momentanée des impôts dans les besoins publics est toujours un fardeau plus léger sur les fortunes que les suites d’une révolution sur le crédit national. »