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roi ou si Sa Majesté ne trouverait pas mieux son compte à en charger la province… Il sera toujours bon de vous assurer de marchands pour les débiter. » — Quelques semaines après (28 décembre 1689), c’est par une circulaire que le contrôleur-général recommande aux intendans de faciliter le débit des charges de grands-maîtres et de maîtres particuliers des eaux et forêts ; dans cette vue, il leur annonce « que le roi avait résolu de n’admettre personne qui fût du ressort de la charge qu’il demanderait ; mais il a depuis reconnu que la convenance du pays est ce qui détermine beaucoup de gens à entrer dans ces charges, même à en augmenter le prix. » — Les intendans, de leur côté, emploient journellement dans leur correspondance les mêmes expressions ; celui de Provence écrit en mai 1691 : « Si les traitans des offices de receveurs ne débitent pas leur marchandise aussi vite que je le souhaiterais, ce n’est point par défaut de protection,.. mais parce que l’argent diminue et que le grand nombre des offices qui ont été mis en vente en même temps fait que le débit des uns nuit au débit des autres[1]. »

Les charges sont tellement considérées comme une marchandise qu’on se préoccupe de la concurrence et du tort que leur vente pourra faire à la vente et au prix des terres, à la négociation des rentes qu’émettent dans les provinces les états et les villes, au crédit du commerce. Non-seulement ce sont des biens comme les terres, mais, comme les terres, on les hypothèque. En mai 1693, il s’agissait de faire acheter, au prix de 25,000 ou 30,000 livres, par les conseillers du parlement de Tournai l’hérédité dont ils ne jouissaient pas encore, et l’intendant des Flandres écrit : « Il n’y en a pas un qui ait cette somme ; l’argent en ce pays est entre les mains des banquiers et des marchands, qui ne savent ce que c’est qu’une hypothèque privilégiée sur une charge, et qui aimeront mieux une lettre de change sur une personne qu’ils croiront solvable sans la connaître que ce privilège, qui nous paraît la meilleure de toutes les sûretés[2]. » Aussi on va jusqu’à demander pour cette nature spéciale de propriété des dispositions et des garanties dans les conventions diplomatiques.

Quand on ne parvenait pas à assurer par les procédés du commerce le débit des offices, on recourait à des moyens plus énergiques, dont l’emploi a besoin d’être attesté par des documens officiels pour ne pas être révoqué en doute. On sait que, quand les élus et les assesseurs, chargés de l’assiette de la taille et d’autres impositions, avaient arrêté les rôles, les intendans avaient le pouvoir de taxer d’office les contribuables qui étaient parvenus à se soustraire

  1. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, no 778, 834, 943.
  2. Ibid., no 1184.