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l’étreinte implacable de la Prusse, ils purent du moins panser quelques blessures et lui apporter ce qu’elle demandait avant tout : des nouvelles de la France ! Hélas ! elles étaient lugubres. La grande nouvelle encore inconnue des assiégés portait le nom fatal de Sedan. Elle frappa l’Alsace au cœur, mais elle ne put la faire douter de sa patrie. Si jamais elle a senti puissamment le lien moral qui l’attache à la France, c’est dans ces jours de désastre. Le malheur partagé est-il pour les peuples comme pour les individus un lien plus fort que la joie ? On le dirait. Car c’est alors et depuis, que l’Alsace n’a cessé d’envoyer à la France les gages de son inviolable fidélité. La Suisse a compris ces sentimens et confirmé l’amitié des vieux jours par sa profonde sympathie. L’Alsace française ne l’oubliera pas.

Puisque nous voilà ramenés aux jours récens, comment prendre congé de la cathédrale sans rappeler les épisodes du siège, qui déjà font partie de sa légende ? L’histoire contemporaine prend ici une couleur fantastique. Voici comment un militaire français, le capitaine de vaisseau Dupetit-Thouars, raconte la première nuit du bombardement. « Le soir du 18 août, je m’étais rendu comme de coutume au Contades ; la nuit se faisait sombre et nous attendions, l’œil ouvert sur ces immenses masses de verdure. Tout à coup l’horizon s’illumina et une grêle de projectiles passant par-dessus nos têtes alla s’abattre sur la ville. Il en pleuvait de tous les côtés, et la distance des batteries était telle qu’on ne voyait que la lueur du coup et qu’il fallait prendre une montre à secondes pour se rendre compte qu’elles étaient à environ 3 000 mètres. Au silence qui régnait succéda une immense rumeur qui venait de la ville plongée encore dans l’obscurité ; puis des lueurs parurent, puis des flammes s’élevèrent de tous côtés, puis la flèche de la cathédrale, reflétant ces teintes fantastiques commença à flamboyer et au-dessus du fracas de l’artillerie, du crépitement de l’incendie, des voix qui s’appelaient, on entendit la note aiguë des enfans qui dominait tout le reste. Pour obtenir une capitulation et dans l’espoir de provoquer une pression de la population sur le commandant, les Allemands avaient commencé, selon leur propre expression, « la danse sanglante. » On sait comment les Strasbourgeois répondirent à cette invitation gracieuse. Écoutons maintenant comment un officier prussien décrivait huit jours plus tard l’aspect qu’offrait du dehors le bombardement parvenu à son apogée de splendeur : « De longues rues flamboyaient d’un bout à l’autre ; leur rouge clarté illuminait tout le ciel. Je me trouvais dans une batterie près du village d’Hausbergen. Les obus avec leurs mèches traversaient l’air comme des comètes ; les bombes, répandant autour d’elles une lueur assez vive, décrivaient de grands arcs de cercle, puis tombaient lourdement