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qu’elles n’ont rien de réel, et qui échappent non pas seulement aux prises actuelles, mais aux prises possibles du déterminisme scientifique? Cette métaphysique dont vous nous parlez sans cesse depuis Platon et Aristote, sans y avoir ajouté ni une analyse ni une démonstration, c’est, ou bien un système étrange d’hallucinations liées, ou bien un art ingénieux de constructions libres dans l’idéal, c’est-à-dire dans le rêve. « Cela se répète depuis nombre d’années, cela se généralise comme un axiome devenu incontestable. Et l’on ajoute, sous forme d’épilogue, comme une preuve expérimentale à l’appui, que d’ailleurs, à voir le mouvement des sciences philosophiques et les progrès de celles qui sont susceptibles d’en faire, comme la morale et la psychologie, à mesure qu’elles tendent à se constituer, elles se détachent de la philosophie proprement dite et deviennent positives, de sorte que la philosophie voit de jour en jour son domaine se restreindre; elle se réduira bientôt à ce qui ne peut être déterminé, c’est-à-dire scientifiquement connu. En résumé, la métaphysique, qui est la plus haute partie de la philosophie, n’est-elle, comme le prétendent les nouvelles écoles, que la région de l’inconnu pur, ou, si l’on veut, par une dernière concession de mots, de l’inconnaissable ?

Et, ce qui est un autre aspect de la même question, la science positive peut-elle, comme on l’affirme autour de nous, par ses seules forces et ses seules lumières, constituer une conscience nouvelle pour remplacer celle qu’elle vient détruire, faire une civilisation toute neuve au lieu de celle que nous avons et qui est saturée de spiritualisme latent, recréer enfin une humanité à son image ?

Voilà le problème primordial que nous avons eu constamment devant les yeux, le point central d’où a rayonné, depuis le premier jour, tout l’effort de notre enseignement. Nous nous sommes demandé s’il était vrai qu’une incompatibilité de nature, un antagonisme irréductible existât entre la science de la nature et les sciences philosophiques, et que l’esprit scientifique proprement dit exclût radicalement toute métaphysique. On n’attend pas de nous que nous entrions dans le détail de la longue controverse établie sur ce point essentiel. Mais il nous sera permis de rappeler que nous avons réagi de toutes nos forces contre ce prétendu antagonisme, tout artificiel, qu’on a voulu nous imposer comme un axiome et qui est l’œuvre d’esprits systématiques. Nous avons établi une distinction nécessaire, sans laquelle tout n’est que malentendu, entre la science positive et le positivisme, qui a souvent profité de l’analogie des noms pour créer une confusion regrettable d’idées. La science positive est l’étude expérimentale des faits et des lois