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En même temps que se développait l’empirisme issu du grand mouvement scientifique du XIXe siècle, soit sous la forme du positivisme français, celui de M. Comte et de M. Littré, qui essayait, par un malentendu sincère, moins manifeste, de confondre sa cause et sa fortune avec celle de la science expérimentale, soit sous la forme du positivisme anglais, plus large, celui de Stuart Mill, celui d’Herbert Spencer, moins strictement emprisonné dans des formules négatives, et qui déploie une activité d’idées et une fécondité extraordinaires, soit sous la forme du monisme allemand, qui logiquement remonte à Spinoza, mais qui a oublié en route ses origines métaphysiques pour se renouveler et se rajeunir dans l’idée de l’évolution, pendant ce temps, une autre école, une par l’inspiration première, très complexe par ses manifestations, venait en aide à toutes ces tendances et en multipliait les effets en contribuant à désagréger et à dissoudre les anciennes doctrines. Je veux parler du criticisme, qui, en apparence, n’est guère moins hostile à la métaphysique que les sectes diverses qui se rattachent à l’école empirique. Issu de la Critique de la raison pure, il prétend, par l’analyse des formes et des lois de la pensée, la réduire à l’impuissance spéculative, et déconseille d’inutiles excursions dans la région inaccessible des principes et des causes, dans le monde des noumènes. Nous avons examiné avec la plus sérieuse attention cette direction très marquée de la pensée contemporaine. Nous l’avons étudiée dans quelques-uns de ses plus célèbres représentans. Nous avons réussi, je crois, à mettre en lumière ce fait considérable qu’aucune de ces écoles issues de Kant, qui nient la légitimité de la recherche métaphysique, ne s’en prive pour son propre compte, et que chacune d’elles reconstruit un dogmatisme complet à sa manière et à son usage. Cette recherche est tellement naturelle et nécessaire à l’esprit humain qu’elle renaît partout, sous les formes les plus imprévues, même chez les penseurs qui semblent le plus résolus à la proscrire. Chacun d’eux arrive à son heure et infailliblement à dogmatiser sur les principes des choses ou la raison de l’univers. C’est Kant lui-même qui reconstruit comme objets de foi morale les noumènes qu’il a logiquement détruits comme objets de raison. C’est Hamilton; personne n’a développé avec plus de vigueur que ce redoutable dialecticien la thèse de l’inconcevabilité de l’absolu, lequel étant par essence inconditionnel, exclut toute relation, toute détermination, et condamne à la contradiction toute raison qui croit le penser. Et c’est lui qui relève sous le nom de croyance ce qu’il a détruit sous le nom de connaissance. C’est M. Renouvier, un penseur âpre dans la critique, mais doué au plus haut degré de la faculté de l’analyse. Lui aussi a développé à sa manière, qui est profonde et