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y retient les hommes. Est-il possible de montrer une incapacité plus complète ou un manque plus absolu de sincérité ?


V.

Pour terminer cette revue des causes qui entravent ou qui menacent d’entraver chez nous l’essor de la colonisation, il faudrait montrer les vices de notre organisation coloniale actuelle. Mais ce serait une œuvre de si longue haleine que je ne saurais songer à l’entreprendre à la fin d’un travail déjà bien long. Je me bornerai à signaler trois de ces vices, les plus dangereux de tous : d’abord, l’instabilité et le défaut de préparation du personnel administratif; secondement, l’action directe et abusive des députés des colonies dans l’administration ; troisièmement, l’absence d’un régime colonial offrant des garanties à tous les intérêts légitimes et assurant à nos possessions l’ordre et la liberté, le respect de tous les droits, sans lesquels elles ne peuvent se développer d’une manière normale.

L’instabilité du personnel administratif n’est pas moins grande dans les colonies qu’en France; seulement elle a beaucoup plus d’inconvéniens dans des contrées encore en enfance, où il n’existe ni fortes traditions, ni coutumes solidement établies, ni règles et méthodes de gouvernement durables, que sur notre vieux continent, où chaque chose étant à sa place depuis de nombreuses années, les hommes se trouvent enfermés dans des organismes dont le jeu est presque indépendant de leurs volontés. On n’a pas moins épuré, modifié, transformé, désorganisé et détérioré au dehors qu’au dedans. « Les gouverneurs défilent dans les colonies, dit l’auteur d’une excellente brochure, les Colonies, par un Sénégalais, avec une rapidité effrayante et, très souvent, l’un s’applique à de faire ce que l’autre a péniblement édifié. De 1843 à 1860, j’en ai vu passer une dizaine au Sénégal ; mais, à part le général Faidherbe, qui y a fait un séjour de six ou sept années, les autres, quoique bien intentionnés, ont passé trop peu de temps à la tête du pays pour en connaître les besoins. » Depuis 1860, le mal a fait de sérieux progrès; ainsi, dans une seule année, l’année 1882, le Sénégal a vu se succéder trois ou quatre gouverneurs. Autrefois, si les hommes changeaient, ils étaient du moins pris dans le même corps, ils pouvaient avoir des connaissances, des habitudes communes, une sorte de préparation qui les disposait, dans une certaine mesure, à travailler successivement à la même œuvre. Aujourd’hui, rien de semblable n’existe. Le choix des gouverneurs est fait au hasard, suivant l’arbitraire le plus parfait ou d’après des convenances purement politiques. On connaît les raisons qui ont décidé celui des derniers gouverneurs de l’Algérie. En Cochinchine,