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Voilà de quoi l’on dispute, sans arriver à s’entendre, et il est incontestable que le problème est assez complexe. Ce n’est pas une raison pour ne pas chercher à l’énoncer et à le résoudre théoriquement. L’exposition de la question exigerait un historique complet ; mais il ne s’agit pas ici de traiter le sujet à fond. En indiquer la nature, les difficultés spéciales, expliquer le caractère des solutions proposées, en mettre les avantages et les inconvéniens en relief : c’est déjà une tâche assez lourde et qu’il serait inutile d’aggraver à plaisir.


I.

Les qualités balistiques et les qualités de service réunies en une même arme en feraient le type complet, l’idéal de la perfection. Malheureusement ces qualités sont antagonistes : à développer les unes, on diminue les autres ; et le mieux est de chercher, par des concessions et des sacrifices, à obtenir entre elles un équilibre harmonieux qu’on ne saurait trouver en envisageant un seul côté des propriétés requises. Cette sagesse de juste milieu, on l’a bien rarement : si on étudie, en particulier, l’histoire des armes à feu, on constate bientôt qu’on a toujours procédé par engouemens, en se jetant dans un extrême d’où l’on n’est revenu que pour se rejeter dans l’extrême opposé.

A telle époque, on a construit des fusils avec l’unique préoccupation de leur donner une grande portée ; et il a fallu les faire puissans, massifs, aussi peu maniables que possible. A tel autre moment, on s’est surtout attaché à pouvoir les charger avec célérité, et c’est même dans ce travers qu’on serait près de tomber actuellement, si quelques écrivains ayant autorité en la matière ne prenaient soin de conseiller au ministre de la guerre une circonspection que n’ont pas les journalistes, et dont ils n’ont d’ailleurs pas besoin.

La puissance balistique du fusil se paie le plus souvent, soit par l’alourdissement de l’arme, soit par un recul exagéré qui s’exerce sur l’épaule du tireur. D’autres fois, c’est en employant de lourds projectiles qu’on est arrivé à leur permettre de conserver leur vitesse et leur force de pénétration. Mais alors le nombre de cartouches que le soldat pouvait porter était bien faible, et les approvisionnemens de munitions traînés à la suite des armées se trouvaient soit insuffisans, soit par trop encombrans. On a cherché encore à améliorer le tir en forçant la balle à l’aide de la baguette ; mais on ralentissait ainsi le chargement, on le rendait plus pénible.

On voit donc bien qu’il y a quelque incompatibilité entre les qualités diverses exigées dans un bon fusil de guerre : en les analysant