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qui sont dans nos magasins pour créer un armement neuf de toutes pièces, répondant aux conditions imposées? Assurément non; en l’état actuel, l’énorme dépense qu’entraînerait une telle mesure serait hors de proportion avec les résultats. Le fusil à répétition n’est pas, en effet, de beaucoup supérieur au fusil ordinaire. On sait qu’il n’en diffère que par un point : un certain nombre de cartouches sont portées par l’arme même. Elles sont contenues dans la crosse ou dans le fût : un mécanisme spécial les amène dans le canon lorsque le tireur ouvre la culasse ; l’arme se charge donc toute seule pour ainsi dire. Lorsque le magasin est vide ou lorsqu’il est plein, mais qu’on ne veut pas s’en servir, on charge coup par coup, comme dans les fusils ordinaires. Il n’y a donc aucun bénéfice à ce moment : on a entre les mains une arme qui ne diffère du fusil ordinaire que désavantageusement, en ce qu’elle a coûté plus cher, qu’elle est plus compliquée et d’un entretien plus difficile, qu’elle est plus lourde, — si le magasin est rempli, — et, en tous cas, plus mal centrée, moins bien en main.

Tout l’avantage qui résulte de l’emploi d’armes à répétition réside dans la précipitation avec laquelle on peut, — à un moment donné, — épuiser le contenu du magasin. Un fusil Henry-Winchester peut tirer en quatorze ou quinze secondes les douze balles qu’il contient, tandis qu’il faut une minute, c’est-à-dire quatre fois plus de temps, pour les lancer avec un fusil ordinaire. Mais cet avantage est transitoire, passager, accidentel. Et on peut se demander s’il se présentera beaucoup d’occasions à la guerre où on aura à exécuter ce feu d’une célérité effrayante de douze coups en un quart de minute. Ce feu assurément ne saurait être ajusté et on ne pourra l’exécuter qu’à bout touchant. Il ne saurait être question de l’employer aux grandes distances. L’épuisement des munitions serait trop rapide, la fatigue de l’épaule et des bras trop grande. Le canon s’échaufferait trop vite, l’air se remplirait d’une fumée qui rendrait le pointage impossible et dont on ne tarderait pas à se griser. Le bruit, la précipitation des mouvemens suffiraient pour mettre le tireur en état d’agitation fébrile et pour lui enlever cette « faculté de réflexion, » comme a dit le général Trochu, qui est nécessaire pour ajuster. L’expérience a prouvé qu’après un tir ininterrompu de deux minutes (soit une trentaine de coups), la plupart des soldats ne peuvent absolument plus continuer le feu. Les plus vigoureux seuls sont en état d’épauler, mais on ne peut compter sur l’efficacité de leur tir. Dans de telles conditions, en effet, on l’a dit avec raison, « le meilleur tireur manquerait un bataillon à 100 mètres. »

C’est donc pour être en état de faire face à des situations exceptionnelles qu’on entreprendrait une réforme du matériel qu’on ne