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À cette explosion, la pauvre femme va défaillir. En tombant, elle se justifie d’avoir descellé ses lèvres sur l’horrible secret qu’elles avaient tenu clos pendant vingt ans : elle a voulu, au prix du respect de son fils, au prix de leur repos à tous les deux, lui épargner le parricide. Mais, pendant qu’elle s’affaisse, lui, debout et le regard tendu comme une épée, prononce d’une voix lente : « J’ai juré sur l’hostie ! »

Avant d’aller plus loin, il faut examiner certaines critiques, les plus spécieuses du monde, qui volontiers trancheraient ce drame dans le nœud même ou, du moins, le dénoueraient à peine noué, s’attachant à lui dès qu’il paraît l’être, et le gourmandant soit parce qu’il ne se précipite pas à leur gré, soit parce qu’il ne s’attarde pas à des obstacles assez forts.

Et d’abord, disent quelques-uns, par quelle révélation, donna Pia, en l’état de mariage, est-elle sûre que Severo ne soit pas le fils de son mari ? À ceux-là, qui nous paraissent des plaisans, nous répondrons qu’une femme peut avoir sur ces choses des lumières naturelles, que leur critique de vérificateurs ne possède pas ; nous ferons grâce à l’héroïne du détail de ses synchronismes ; nous ferons crédit là-dessus à l’auteur, sans crainte que notre discrétion soit une duperie.

Mais une autre objection est plus forte. Severo est le fils de Spinola, soit ! Le meurtre d’un père, qui fut père dans ces conditions, est-il bien un parricide ? Engendrer ainsi, est-ce acquérir des droits au respect de la mère, à la piété de l’enfant ? Au contraire, donna Pia ne peut qu’éprouver de l’horreur pour le tyran qui lui a imposé cet ignoble pacte ; la vie de cet homme, depuis vingt ans, doit peser à son honneur ; lorsqu’elle apprend que Severo va le tuer sans savoir qu’il la venge, elle devrait se sentir délivrée ; elle devrait garder le secret et laisser son fils agir innocemment. Si même elle s’est trahie par surprise, ne doit-elle pas encore, cette Italienne du XVe siècle, animer ce justicier suscité par le crime même ? Ne doit-elle pas presser le coup par lequel l’auteur de sa honte et presque sa honte même seraient abolis ? Et lui, Severo, lorsqu’il apprend son infâme naissance, ne doit-il pas, au lieu de faiblir, sentir redoubler sa haine ? N’est-ce pas une raison de plus qu’il acquiert de se précipiter au meurtre, et qui fait sa cause plus juste ? Enfant de ce pays et de ce temps tragiques, ne doit-il pas, au lieu de s’amollir par des scrupules, raidir soudain son bras pour un tel parricide ? Sommé d’agir par la vérité qui se révèle, peut-il hésiter, et surtout hésiter longtemps ? S’il doute, et si l’auteur n’a que ce doute pour remplir une bonne partie du drame, cette partie ne sera-t-elle pas vide ? Chaque nouveau discours du héros ne sera-t-il pas une répétition du premier ? S’il se décide à la fin, s’il lève le bras, si sa mère le prévient et frappe le coup, n’eussent-ils pas mieux fait l’un et l’autre de ne pas s’attarder en des embarras chimériques ? Pour finir ainsi, ne valait-il pas mieux finir plus tôt ?