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qu’une partie de son système en envoyant des forces insuffisantes, et de commencer par désavouer M. Bourée, pour reprendre bientôt plus l ou moins, dans des conditions aggravées, l’œuvre qu’il avait entreprise. Avec ces procédés à quoi est-on arrivé ? Depuis six mois, on est sur les bords du Fleuve-Rouge avec le dessein avoué de venger l’honneur de nos armes, de prendre les deux places de Bac-Ninh et de Sontay, qu’on représente sans cesse comme la garantie de notre protectorat, et toutes les fois qu’on veut avancer, on est réduit à attendre de nouveaux renforts. D’un autre côté, depuis des mois, on négocie à bâtons rompus avec l’empire chinois, à qui on a laissé le temps de faire ses démonstrations, d’envoyer peut-être des troupes, de profiter de nos contradictions et de nos incertitudes. On s’est laissé conduire à une situation extrême, qui se résume dans cet étrange dialogue entre la France, prétendant qu’il lui faut deux places, peut-être trois, et la Chine, déclarant que ces places seront défendues par ses soldats. On en est là, et c’est ainsi qu’une affaire qui, mieux conduite, serait vraisemblablement déjà résolue, se trouve à l’heure qu’il est jusqu’à un certain point compromise. Par elle-même, cette question de notre politique au Tonkin n’est donc pas dans les meilleurs termes, et s’il y a une moralité à dégager de cette discussion qui vient de se clore, comme de l’ensemble des faits, c’est qu’il faut enfin sortir de là sans plus de retard. Il faut en sortir par la diplomatie si on le peut, par la guerre si c’est nécessaire, et le vote qui a été émis l’autre jour a particulièrement, avant tout, cette signification de mettre le gouvernement en mesure d’agir, sans lui fixer d’ailleurs ni moyens ni limite.

Après cela, nous en convenons, cette délibération de la chambre, qui a remis au jour une longue et peu brillante histoire, ne s’est pas bornée à mettre à la disposition du gouvernement les crédits qu’il demandait, qui ne pouvaient pas être refusés, qui seront probablement encore une fois fort insuffisans ; elle laisse le ministère chargé du soin de la défense de nos intérêts au Tonkin. En d’autres termes, la question ministérielle s’est trouvée tranchée du même coup. Rien de mieux ; ce n’était pas, il faut l’avouer, le moment de soulever avec une si violente impatience une question de compétition ministérielle. Seulement, en serrant de près cet ordre du jour, qui, sans prononcer le mot de confiance, exprime la conviction que le gouvernement saura déployer l’énergie nécessaire, on peut se demander si c’est là un vote bien clair, s’il en résulte pour le cabinet une force réelle. C’est au moins assez douteux. Assurément cette discussion a été sous plus d’un rapport des plus instructives. M. le président du conseil, qui, à défaut de l’expérience diplomatique, qu’il n’a pas encore, qu’il acquerra sans doute, a déjà la bonne volonté de ne se laisser arracher les communications qu’à la dernière extrémité, M. le président du conseil a dit une parole vraie. Il a prétendu que, s’il fallait tout dire et répondre à chaque