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il s’aperçut que les croyances chères et sacrées, qu’il se persuadait avoir conservées intactes, depuis longtemps il ne les avait plus ; il vit le fond de son âme, et il n’y trouva plus rien. Il a raconté cette ruine de ses croyances dans une page mémorable, l’une des plus belles de notre siècle. Il ne s’en était pas tenu au doute sur le christianisme. Toutes ses opinions reposant sur des bases chrétiennes, il lui fut impossible de se faire à lui-même aucune illusion ; et « la divinité du christianisme une fois mise en doute à ses yeux, il dut reconnaître qu’il n’y avait plus rien en lui qui restât debout. » Ce moment nous dit-il, fut affreux, et il fut bien près de tomber dans le désespoir. Mais, comme c’était une âme courageuse et un esprit ferme, il reprit courage et se proposa pour but de retrouver par la raison les croyances que la foi avait perdues. Il crut que le problème de la destinée humaine était le seul problème digne des recherches de l’homme ; et ce que la religion ne lui donnait plus, il crut devoir le demander à la philosophie. « En un mot, dit-il, mon intelligence, excitée par les besoins et élargie par les enseignemens du christianisme ; avait prêté à la philosophie le grand objet, les vastes cadres, la sublime portée de la religion. »

Tel était l’état d’esprit de Jouffroy lorsqu’il commença à entendre les leçons de Victor Cousin. Assurément nul n’était mieux préparé pour recevoir les conclusions et les doctrines que l’on nous dit avoir été l’objet propre de l’éclectisme. Que voulait Jouffroy ? Une sorte de religion. Qu’était-ce que l’éclectisme, d’après l’idée que l’on nous en donne ? Une religion laïque, nous dit-on ; à la vérité ; une religion appauvrie. Mais par cela seul que l’on passe de la foi à la raison, il y a toujours un déchet pour l’imagination, une religion de raison sera toujours quelque chose d’appauvri et de desséché par rapport à une religion de sentiment. En un mot, Jouffroy avait besoin de croyances ; et l’éclectisme avait, dit-on, pour but exclusif de sauvegarder les croyances de l’humanité. Il semblait donc être une réponse toute prête aux questions posées par Jouffroy.

Maintenant, sachant ce que Jouffroy attendait, demandons-lui ce qu’il a trouvé. Nous avons dit quelles étaient ses espérances, apprenons ce que furent, ce sont ses propres expressions, « sa surprise et son désappointement. »

On remarquera que l’on n’a pas affaire ici à un témoin prévenu, qui idéalise les souvenirs de s ; jeunesse, mais au contraire à un élève désappointé, à une âme avide de croyance et de religion, un Pascal frémissant dans l’attente d’une révélation nouvelle, et qui trouve, quoi ? L’analyse de la perception extérieure et la question de l’origine des idées. « Condillac l’avait résolue d’une façon, que M. Laromiguière avait reproduite en la modifiant. M. Royer-Collard l’avait résolue d’une autre, et M. Cousin, évoquant tous les systèmes,