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la compagnie des grands philosophes, au moins de ceux de premier ordre. Ces traits épars, très conformes d’ailleurs à l’idée générale que l’on se fait de Hegel, ont un grand prix, et complètent d’une manière intéressante la physionomie de ce grand esprit.

En résumé, l’état de la philosophie en Allemagne, en 1817, à l’époque du voyage de Cousin, était le suivant. Il y avait deux camps : d’un côté, les partisans de Kant à tous les degrés, plus ou moins réconciliés avec les partisans de Jacobi, comme Fries et Bouterweck ; par conséquent, l’école critique et l’école du sentiment ; — de l’autre, la philosophie de la nature, l’école de Schelling, c’est-à-dire le panthéisme. La lutte était vive entre ces deux écoles. Cousin n’ayant vu cette fois que l’Allemagne du Nord n’avait guère rencontré que Schleiermacher et Goethe qui fussent dans des tendances philosophiques analogues à celles de Schelling. C’était seulement l’année suivante qu’il devait voir à Munich Schelling et Jacobi. Malheureusement, il ne nous a pas donné le récit de ce second voyage.

Il est donc vraisemblable que de cette première tournée en Allemagne, Cousin n’eût rapporté qu’une impression assez peu favorable pour la philosophie de la nature, comme on appelait alors la philosophie de Schelling, si le hasard ne l’avait pas mis précisément en rapport avec l’homme qui non-seulement représentait alors de la manière la plus originale la philosophie de Schelling, mais qui même commençait déjà à la supplanter et la dépasser. En 1817, la grande gloire de Schelling prévalait encore ; mais le nom de Hegel allait bientôt triompher. Cousin connut donc Hegel, non-seulement le premier en France, mais en Allemagne même, un des premiers. M. Rosenkranz lui a reproché d’avoir écrit plus tard qu’il avait en quelque sorte « prophétisé » Hegel dans son propre pays ; il y a là sans doute quelque exagération ; mais il paraît certain cependant par l’histoire que Hegel n’était pas encore en 1817 ce qu’il est devenu plus tard. On était encore plus préoccupé de Schelling que de Hegel ; et il est fort vraisemblable que de vieux professeurs comme Schulze et Fries, qui en étaient encore à Kant, et pour qui l’ennemi était Schelling, n’avaient pas encore eu le temps de découvrir ce nouvel adversaire dont les formules inextricables furent d’abord, même en Allemagne, un sujet d’étonnement. Quoi qu’il en soit, par Hegel, Cousin fut initié à la philosophie de Schelling ; il reçut d’eux, et cette année même et l’année suivante, une influence commune dont nous retrouverons les traces dans les années qui vont suivre.

Les vacances finissaient. Cousin était rappelé à Paris par les obligations de ses fonctions. Il raconte qu’en quittant l’Allemagne, et