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religieuses ; mais cet appui, elle n’ose le payer le prix qu’on semble exiger d’elle. Si, pour échapper à la pression du radicalisme, la couronne était jamais tentée de se réfugier dans le giron de l’église et d’en venir à composition avec la papauté, ses conseillers pourraient, à l’heure même des grandes résolutions, trouver ce parti non moins périlleux que le danger qu’on prétendrait ainsi conjurer.

Pourquoi la maison de Savoie, qui a tant d’intérêts à les gagner, n’a-t-elle pas fait plus d’avances aux catholiques ? C’est uniquement que, vis-à-vis d’un trône élevé dans Rome sur les ruines de la royauté pontificale, l’église et les catholiques seraient incomparablement plus exigeans qu’ailleurs. Il n’y a qu’une circonstance, qu’un moment où la couronne pourrait se décider à subir les conditions du saint-siège, c’est le jour où la monarchie, minée par le radicalisme, se sentirait en danger ; et ce jour-là, l’appel in extremis que le Quirinal lui adresserait, le Vatican pourrait bien ne pas l’entendre et refuser à son tour le secours qu’on implorerait de lui. Au salut de son ancien adversaire, amené à résipiscence par le péril, le saint-siège pourrait bien préférer les vagues perspectives qu’ouvrirait devant lui une révolution. Au sacré palais comme ailleurs, il ne manque pas de conseillers qui n’attendent le bien que de l’excès du mal. En face d’une révolution, s’il voyait le trône d’Italie acculé à la république, le Vatican serait tenté de laisser s’accomplir ce qui lui semblerait les desseins de Dieu, de laisser la main de la Providence écarter du séjour des papes les pâles héritiers des césars.

Pour la papauté, en effet, les menaces de la démocratie et le spectre de la révolution, qui plane au-dessus du déclin de notre siècle, ne sont pas aussi redoutables que pour une monarchie : s’ils lui offrent des dangers, ce n’est pas sans lui offrir des compensations. Là où la royauté ne peut voir que ruine et déchéance, la papauté peut rêver de relèvement et de restauration. La tiare n’est pas de ces couronnes qu’une révolution brise. La chute de la monarchie italienne pourrait empirer la situation du saint-siège, mais, en faisant de la péninsule une sorte de table rase, elle aurait pour l’église le mérite de laisser le champ libre à des combinaisons impraticables aujourd’hui. Quand une restauration de la royauté pontificale demeurerait manifestement impossible, quand l’Italie devrait être convertie en république unitaire ou fédérative, la république ne saurait être envisagée au Vatican du même œil qu’au Quirinal. Sans compter que, pour un pouvoir déchu qui se pique d’être légitime, la chute des « usurpateurs » est toujours la mieux venue des vengeances, le renversement même du trône qui s’élève à côté d’elle pourrait être regardé comme un avantage pour la chaire romaine,