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difficultés ? Ce n’est pas assurément que Rome soit pour l’Italie la plus commode des capitales, ni pour le roi Humbert ou ses ministres le plus confortable des séjours. Les catholiques ont beau jeu quand ils en énumèrent les inconvéniens politiques, économiques, sanitaires. Ils peuvent soutenir sans paradoxe que, au lieu de rehausser l’influence de l’Italie et le prestige de la royauté, Rome capitale les diminue. La présence du pape est presque aussi gênante pour le roi que l’est pour le pape le séjour du roi. Si, pour ce dernier, le voisinage du saint-siège n’est pas une cause de confinement, il est une cause d’isolement et en quelque sorte d’interdit, de quarantaine vis-à-vis des souverains catholiques. Sous ce rapport, la Rome de la maison de Savoie n’est guère plus favorisée que le Paris de la république, si grossièrement incivil pour don Alphonse. Empereurs et rois sont peu curieux d’en fouler le sol, et, pendant longtemps encore, la plupart, — les souverains catholiques du moins, — se priveront d’en aller admirer les merveilles. Il y a là, pour le légitime amour-propre de l’Italie, pour la dignité de la nation et du roi, une mortifiante cause de froissemens. On l’a bien vu lors du voyage, peut-être inconsidérément précipité, du roi Humbert Ier à Vienne. La politesse faite à l’empereur d’Autriche dans sa capitale, François-Joseph n’a pu la rendre à son hôte dans la sienne. La presse italienne de toute couleur a, de Palerme à Venise, discuté, durant des mois, dans quelle ville l’empereur d’Autriche rendrait au roi sa visite. Malgré les naturelles susceptibilités de la péninsule, la question n’a pas été résolue, et il demeure douteux qu’elle le soit conformément aux vœux de l’amour-propre national. Le cabinet italien, ayant donné à entendre que la visite du roi à Vienne ne pouvait être rendue qu’à Rome, la visite du roi d’Italie ne lui a pas encore été rendue. En restant à Rome, la maison de Savoie s’expose à n’être point en pareil cas traitée sur un pied d’égalité. Le roi d’Italie au Quirinal, c’est jusqu’ici un roi chez lequel les rois ne vont pas. A cet égard, l’interdit, lancé par le pape sur son ancien palais, a été respecté de toutes les têtes couronnées.

S’il y descend un prince protestant, — comme ces jours derniers, le prince impérial d’Allemagne, — on a soin de le loger en dehors des murs excommuniés de l’ancienne résidence pontificale, dans la palazzina bâtie par Victor-Emmanuel après 1870. La visite même de l’héritier des Hohenzollern, acclamé avec un humble orgueil par la Rome italienne, a fait doublement ressortir les inconvéniens du voisinage du pape, en suscitant à l’hôte impérial du roi, dans sa visite au Vatican, de fastidieuses questions d’étiquette et en faisant mettre en doute l’objet réel de son soudain et équivoque voyage. Si le fils de l’empereur Guillaume est allé à Rome, l’Europe s’est demandé s’il y allait pour le roi ou pour le pape.