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l’esprit humain et participent de ses obscurités, de ses incertitudes, de ses variations ; qui se présentent aux diverses époques sous des faces différentes ; que chaque génération, que chaque siècle reprend à son tour, suivant son tempérament et son génie, sans pouvoir se flatter de les résoudre jamais. Il en est ainsi surtout du problème dont nous venons d’analyser les données et qui n’est lui-même qu’un aspect de la grande et éternelle question de l’indépendance de la conscience humaine et de la liberté religieuse. Ce qui est en jeu derrière le Vatican et la personne du pape, ce n’est rien moins, en réalité, que la situation du catholicisme, du christianisme, de la religion même, dans les sociétés laïques issues des trois derniers siècles. Le saint-siège et le catholicisme devront peu à peu s’accommoder à la sécularisation de l’état et de la société, s’adapter à la démocratie, que l’église a en partie couvée dans son sein et qui, en fille ingrate, la repousse aujourd’hui. Et, de leur côté, tant que le cœur de l’homme restera religieux, tant que ses désirs ou ses rêvés dépasseront, les horizons terrestres, la démocratie et l’état moderne devront compter avec le christianisme et avec la papauté, qui en demeure la plus haute expression. La solution de la question ne saurait se trouver que dans la liberté, qui seule peut concilier les antinomies, dans la liberté de l’église, dans le respect de l’indépendance spirituelle du saint-siège. Mieux cette indépendance sera assurée, plus elle sera entourée de garanties, et moins l’Europe et l’Italie auront à se préoccuper de ce vieux problème. L’Italie le sent ; elle sait que la présence de la papauté lui impose des devoirs qu’elle est la première intéressée à bien remplir. Ses publicistes les plus éminens ne font pas difficulté de le confesser ; ils reconnaissent que la liberté du pape est pour la péninsule « une dette internationale[1]. » Ils se plaisent à proclamer que la mission spéciale de la nouvelle Italie, que sa vocation providentielle, s’ils nous permettent ce mot, est de fonder en Europe la liberté religieuse, — grande et délicate mission qui, à notre époque d’anarchie intellectuelle et de confusion politique, suffirait à la gloire d’un peuple.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Un debito internazionale. Cadorna, Illustrasione giuridica, etc. ; 1882.