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1 million de poissons de toute espèce. Dans la Méditerranée, les étangs sont des baies ou des anses que les sables ont fermées ; ils ont été pris sur la mer et non sur la terre comme ceux de l’océan.

Plusieurs de ces étangs pourraient être transformés en pêcheries, comme celui de Comacchio, dont tous les ouvrages spéciaux donnent la description. Située à l’embouchure du Pô, cette lagune peut être alternativement mise en communication, au moyen de canaux et d’écluses, soit avec le fleuve, soit avec la mer. Au printemps, les jeunes alevins de muges, de bars et d’anguilles recherchant l’eau douce, pénètrent dans la lagune, qui est elle-même divisée en 15 bassins, et y sont retenus par des filets formant des labyrinthes. On y fait ensuite pénétrer l’eau salée dans laquelle ces poissons s’engraissent et deviennent rapidement comestibles ; c’est ainsi qu’un kilogramme de montée d’anguilles, comprenant 3,600 individus, donne en trois ans un poids de 6,000 kilogrammes, d’une valeur de 3,000 à 3,500 francs et qu’un kilogramme de montée de muges fournit, en un an, 1,400 kilogrammes de poissons, d’une valeur de 700 fr. Le produit annuel de cet établissement est de 800,000 fr. à 850,000 francs, ou d’environ 25 francs par hectare. Des pêcheries semblables existent dans les lagunes de Venise, où elles sont établies depuis le XVIIe siècle.

Des divers étangs qui se trouvent sur les côtes françaises, l’étang de Caronte est exploité à peu près de la même façon depuis le IXe siècle par les habitans de Martigues, au moyen de pêcheries connues sous le nom de bordigues ; on pourrait en établir également à celui de Valcarès, qui peut être alimenté par le petit Rhône ; c’est peut-être le seul qui soit susceptible d’être aménagé comme celui de Comacchio, car la condition indispensable pour y attirer le poisson est d’y établir un courant alternatif d’eau douce et d’eau salée. Dans les autres, et notamment dans l’étang de Berre, qui, avec une superficie de 20,000 hectares, est une petite mer intérieure, il serait facile de créer des établissemens de conchyloculture pour l’élevage des huîtres, des moules et des autres coquillages. Il suffirait que la marine poursuivît les expériences qu’elle a entreprises pour que cette industrie s’y développât rapidement.

L’administration de la marine s’est toujours montrée défavorable à l’établissement le long des côtes de pêcheries fixes, nécessitant des constructions de pierre ou de bois, à cause des entraves qu’elles apportent à la navigation et du privilège qu’elles donnent à leurs propriétaires sur une portion de mer et de rivage qui doit appartenir à tous. Tout en respectant les droits établis, elle n’accorde d’autorisation nouvelle que sur les points où les constructions peuvent servir à défendre la côte contre les érosions de la mer. Tel a été le cas sur le littoral des îles de Ré, d’Oléron, de Noirmoutiers, et aux