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active et de poursuivre les délinquans avec plus de rigueur. Les dispositions légales existantes ne laissent rien à désirer, il suffit d’en exiger l’application ; et il ne servirait de rien d’en édicter de nouvelles, si, comme celles d’aujourd’hui, elles restaient en partie lettre morte.

Mais les prescriptions légales, si utiles qu’elles soient, ne sauraient avoir sur la prospérité de la pêche maritime une influence comparable à celle qu’auraient des mesures d’un autre ordre. Il serait tout d’abord désirable que l’institution des prud’hommes, en vigueur sur tout le littoral de la Méditerranée, se répandît également sur les côtes de l’océan sous la forme des associations prévues par les règlemens. Ces prud’hommes sont des espèces de sociétés de secours mutuels qui ont en outre pour objet la défense des intérêts communs. Ainsi, d’après M. Bouchon-Brandely, la prud’homie des pêcheurs de Marseille a fondé une caisse de secours au profit de laquelle les patrons paient une cotisation de 24 francs par an pour les embarcations de deux ou trois hommes, et de 48 francs pour celles qui en ont davantage. Cette caisse possède aujourd’hui un capital de 200,000 francs et paie annuellement 14,000 francs de pensions, sans compter les secours qu’elle donne aux veuves de marins. Ces prud’hommes ont leurs propres règlemens, et leurs chefs servent d’intermédiaires entre les pêcheurs et l’autorité maritime. Malheureusement la politique tend à s’y introduire et à en fausser l’esprit.

De toutes les industries, la pêche est une de celles auxquelles le principe de l’association entre le patron et l’ouvrier, c’est-à-dire de la participation de ce dernier aux bénéfices, convient le mieux. Ce mode de rémunération du travail ne saurait s’appliquer aux entreprises qui exigent de grands capitaux, une direction unique, une instruction spéciale, de grandes capacités industrielles et commerciales, à celles, en un mot, où la main-d’œuvre n’est pour ainsi dire que l’accessoire ; mais il est, au contraire, admirablement approprié à celles qui, comme la pêche, exigent peu de capitaux, et dont les profits dépendent surtout du travail et de l’ardeur de ceux qui y sont employés. Aussi y est-il très généralement en usage, et la plupart des arméniens dépêche se font-ils à la part, c’est-à-dire que, sur le produit de chaque pêche, une proportion, qui varie suivant le tonnage, est réservée au propriétaire du bateau, et que le surplus est distribué entre l’équipage. Si fructueuse que soit la pêche, il est rare que la part des simples matelots leur rapporte plus de 3 francs par jour. C’est bien peu pour des hommes qui mènent l’existence la plus rude qu’on puisse imaginer, et dont la vie est incessamment en péril. Si l’on compare leur sort à celui des ouvriers des villes, qui ne cessent de s’en prendre à la société de