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seulement faire attention à ne pas vouloir superposer dans une même œuvre de sculpture toutes ces expressions l’une à l’autre : dans un buste de nègre mettre en relief à la fois un idéal de beauté plastique et les traits essentiels qui caractérisent le type africain, ou encore, dans une figure de femme nue, faire à la fois ressortir la caractéristique d’une race et montrer la victoire de la volonté sur les sens. L’expression d’un caractère unique par des moyens appropriés, et sous la condition que la beauté de la forme y soit toujours et par-dessus tout respectée, telle semble donc être la loi de la sculpture. Il reste d’ailleurs toujours possible à l’artiste, ou plutôt c’est sa fonction même et son privilège, comme on l’a vu, que de découvrir entre le physique et le moral des rapports nouveaux, des analogies inaperçues entre le beau spécifique de son art et la puissance expressive des sensations qui le constituent.

Nous exposons, nous résumons, nous mutilons sans doute ; nous ne discutons pas. Il faut cependant y venir : — quoique la chose ne soit pas facile dans un sujet où l’on ne pourrait contester utilement les théories de l’auteur qu’autant que l’on en aurait de toutes prêtes à leur opposer. On trouvera donc que tout cela, quelque opinion que l’on ait sur le fond, demeure en somme un peu vague, et n’avance pas beaucoup la solution du problème de l’expression dans les arts. La preuve en est que M. Sully Prudhomme n’y a pu trouver ni de quoi fonder, en sculpture, par exemple, ou en peinture, la hiérarchie des genres, ni seulement la hiérarchie des arts entre eux. Tous les genres sont bons, dirait-il volontiers, et il n’est question que de savoir ce que les œuvres valent. Ou bien encore, la distinction des genres, en dernière analyse, étant fondée sur la diversité des aptitudes qui font le peintre (ou même sur ce que ces aptitudes ont d’inconciliable et d’incompatible entre elles), à peine peut-on supposer que les genres soient seulement comparables entre eux. En effet, si l’on ne voit pas de commune mesure entre l’aptitude qui rend un peintre uniquement propre à jouir d’un effet de lumière et celle qui, au contraire, le rend propre exclusivement à jouir de la beauté des lignes, quelle raison aura-t-on de décerner à la peinture du nu quelque supériorité sur la peinture de paysage, ou réciproquement ? mais surtout quelle raison tirée de la nature intime des moyens de l’art de peindre ? Et maintenant, si l’on ne peut pas même classer les genres entre eux, si toute classification théorique est immédiatement démentie par la réalité, si l’on n’a pas plus tôt placé l’histoire, par exemple, au-dessus du paysage que le nom de Claude Lorrain vient balancer celui de Poussin, et le nom de Ruysdaël éclipser celui de Lebrun, sur quel fondement espèrera-t-on de pouvoir établir une classification des arts entre eux, et décerner une supériorité constante à la peinture sur la sculpture ou à la sculpture sur la musique ? De même qu’il faut se