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est le plus favorable à « l’expression ; » ou comme celle-ci, que : tandis que les autres arts procéderaient par imitation, le comédien seul procéderait par « création. » Sans vouloir déplaire aux comédiens, il est permis de croire que M. Sully Prudhomme leur fait la part trop belle, et que les mots dont il se sert, impliquant une espèce de supériorité de l’art du comédien sur tous les autres, sont au moins un peu trop forts.

La grande habileté que M. Taine, au contraire, avait eue dans sa Philosophie de l’art, ç’avait été non-seulement de n’introduire parmi les arts dont il traitait ni l’art du comédien ni les arts décoratifs, mais d’éliminer même de ses généralisations l’architecture et la musique, les arts mathématiques en un mot, comme on pourrait les nommer par opposition aux arts plastiques. Si l’imitation de la nature est ou n’est pas la fin de la peinture et de la sculpture, c’est une question que nous n’avons pas à discuter, mais l’imitation de la nature est au moins le principe de toute sculpture et de toute peinture. Est-il besoin de démontrer qu’il en va tout autrement de la musique et de l’architecture, quelque opinion que l’on professe d’ailleurs sur leur première origine ? On peut dès lors se demander si ce n’est pas se condamner à demeurer nécessairement dans le vague que de vouloir envelopper dans les mêmes formules les lois de la peinture et celles de la musique. S’il y a des analogies entre les sons et les couleurs, comme entre les lignes de l’architecture et les formes de la sculpture, ces analogies elles-mêmes, étant de l’ordre scientifique, ne peuvent être exprimées que par des formules tout abstraites. Ce qui constitue l’essence propre de chaque art s’évanouit ainsi dans l’effort même que l’on fait pour atteindre à ces hauteurs, et de toute l’esthétique il ne demeure que le formel, c’est-à-dire ce qui n’est vrai que de tous les arts pris ensemble et considérés comme tendant au même but. M. Sully Prudhomme serait sans doute arrivé à des conclusions plus précises s’il n’avait traité que de l’expression dans les arts plastiques, ou, si ses sympathies l’entraînaient plutôt de l’autre côté, de l’expression en musique ou en architecture : « Chaque art a son verbe particulier, intelligible seulement à ses adeptes et à ses initiés et tous les arts ont un langage commun, intelligible à tout le monde. Ce langage commun se compose de certains moyens d’expression qui leur appartiennent à tous et qui permettent jusqu’à un certain point de les transposer les uns dans les autres ; mais ce qu’ils ont d’équivalent est ce qui les spécifie le moins. » Je crains que M. Sully Prudhomme, si net sur ce point, n’ait quelquefois oublié, chemin faisant, ce qu’il dit là si bien. Il semble au moins qu’il ait, dans sa Théorie générale de l’expression, trop insisté sur ce que tous les arts ont « d’équivalent, » et que, s’il a fort bien parlé dans son livre de l’Expression dans les différens arts de ce qu’ils ont chacun de « spécifique, » il n’ait pas