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être des politiques, sentent le danger des persécutions religieuses. Malheureusement, c’est ce qu’on peut appeler une sagesse assez intermittente. M. le président du conseil ne poursuit pas moins son système d’expédiens et de concessions. Il livrera lestement les bourses des séminaires pour l’avenir, tout en les défendant pour le moment. Il laissera passer sans mot dire dans une loi municipale toute sorte de mesures dépouillant les églises et les fabriques. Il permettra à M. le ministre de l’intérieur de présenter une loi sur les associations, enlevant tout simplement aux associations religieuses les moyens de vivre. M. le président du conseil ressemble un peu à M. le président du sénat, qui avait dit l’autre jour qu’un honnête et digne historien, M. Henri Martin, mort récemment, avait « rendu son âme à Dieu, » et qui, se ravisant le lendemain, a supprimé ce mot compromettant de « Dieu » dans le compte-rendu officiel. Dieu, c’est de trop dans une oraison funèbre ou dans le Journal officiel, comme c’est de trop dans nos écoles. Voilà où l’on en est au moment même où l’on croit devoir défendre l’ambassade de France auprès du saint-père. M. le président du conseil et ses amis ne s’aperçoivent pas qu’avec ces procédés et ces tactiques, on n’arrive à rien ; on ajoute à l’anarchie morale, on ne rétablit pas la paix religieuse, on ne fait pas surtout de la politique sérieuse.

Non, quoi qu’en puisse penser M. le président du conseil, on ne refait pas ainsi un gouvernement ; on ne refait pas de l’ordre avec du désordre, pas plus qu’on ne relève les finances du pays avec des prodigalités et des fantaisies, avec l’abus organisé de toutes les ressources publiques. Qu’en est-il, en effet, au moment présent, à cette dernière heure de l’année, de cet état des finances qui est, depuis assez longtemps déjà, l’objet d’une préoccupation universelle ? On aurait beau se faire illusion, cet état est assurément grave. Il l’est devenu non pas en un jour, mais par degrés, par suite de toute une politique. On s’est accoutumé à dépenser sans compter, à disposer de ce qu’on avait et de ce qu’on n’avait pas, à abuser de tout, du crédit aussi bien que des ressources régulières et permanentes. Ce qui n’aurait été possible qu’avec le temps, avec des ménagemens, on a voulu le faire au pas de course. Ce qu’on n’a pas pu inscrire dans le budget ordinaire, on l’a introduit arbitrairement dans le budget extraordinaire. On vient encore de mettre dans ce budget fort extraordinaire, en effet, 30 millions pour les écoles. On n’a pas emprunté seulement pour l’état, on a poussé les départemens, les communes à emprunter, à s’engager au-delà de leurs forces. On est arrivé ainsi, par le plus court chemin, au déficit dans le budget ordinaire et à l’embarras du crédit. Le mal est que, depuis quelques années, on ne cesse d’aller à l’aventure, traitant la fortune publique comme si elle n’existait que pour populariser le régime ou pour satisfaire des intérêts électoraux. On prend toutes les libertés avec cette malheureuse situation financière, et rien certes ne