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fallut, toute affaire cessante, courir au-devant des Autrichiens, qui reparaissaient en force sur les confins de la Bavière.

C’était l’effet de l’ordre toujours décisif de Marie-Thérèse. « Suivez le maréchal de Maillebois partout où il ira, » avait-elle écrit sur-le-champ à son mari, en apprenant le mouvement rétrograde de l’armée française ; et se retournant vers Robinson : « Avais-je tort de ne pas céder ? » lui dit-elle, et elle ajouta avec un sourire d’orgueil : « Il n’y a que moi, après tout, qui sache ici la vraie manière de parler et d’agir. — Je le crois bien, lui répondit le ministre anglais ; aussi, pour ma part, je m’attacherai toujours au tronc de l’arbre plutôt qu’aux branches. » Mais comme elle témoignait en même temps au grand-duc une vive impatience de le revoir, il fut convenu qu’il laisserait son commandement au prince Charles, en partageant d’avance ses troupes en deux corps : l’un des deux, confié au prince Lobkowitz, se présenterait devant Prague pour empêcher Belle-Isle de bouger, tandis que l’autre, sous la conduite du prince Charles lui-même, suivrait l’armée de Maillebois, devenue celle de Broglie, pour la déloger, s’il était possible, de la Bavière.

Dans ce dessein, qui fut rapidement accompli, le prince arriva presque à l’improviste devant la ville de Braunau, place forte située à quelques lieues au-dessous de Munich sur la rivière d’Inn, le principal affluent du Danube dans cette région. Le point d’attaque était bien choisi, car Braunau une fois pris, Munich, qui n’avait point de défense propre, succombait du même coup. La ville, très mal fournie de subsistances en tout genre, ne pouvait tenir plus de quelques jours. Broglie, quoique lui-même pris au dépourvu et presque dénué de munitions et d’artillerie, n’hésita pas à s’y porter de sa personne et accourut encore à temps pour y pénétrer avant que l’investissement fût complet. Le prince Charles, plus intimidé peut-être que de raison par cette résolution que son adversaire eût eu assez de peine à soutenir, crut le coup manqué et se retira sans insister, se bornant désormais à monter la garde sur la frontière de la Haute-Autriche.

La Bavière était préservée : c’était un succès imputable, suivant les uns, au mérite, suivant d’autres (car il y avait des amis de Belle-Isle dans l’armée de Broglie) simplement à l’étoile du maréchal ; peut-être, plus simplement encore, à l’effet des conseils énergiques de Maurice. Mais, en tout cas, le fait était devenu trop rare pour qu’on ne craignît pas de le compromettre en voulant en tirer plus d’avantage qu’il ne comportait. D’ailleurs, l’opération elle-même avait achevé d’épuiser l’armée en interrompant son travail de réparation. On était au 10 décembre : commencer une campagne dans cette saison de l’année était un fait contraire à toutes les habitudes du temps. Il était donc, en conscience, aussi impossible de pousser une pointe