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l’absolu face à face, le saisir en lui-même indépendamment de ses formes. Mais, suivant Victor Cousin, nous ne pouvons pas apercevoir Dieu en lui-même, nous ne savons qu’une chose de lui, « c’est qu’il est ; » nous ne le saisissons que dans la science, dans l’art ou dans la vertu. Toute pensée contient Dieu. Il n’y a point d’athée. La logique, les mathématiques, la physique sont autant de temples élevés à la divinité. On peut trouver cette doctrine passablement panthéistique, mais ce n’était pas le temps d’entrer dans les précisions. Il s’agissait de réintroduire la notion de Dieu dans la science métaphysique, d’où le matérialisme et le sensualisme du dernier siècle l’avaient chassée. Le matérialisme niait Dieu, le sensualisme n’en parlait pas. Dieu était rentré dans la philosophie populaire et dans la littérature par Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. Il fallait lui faire sa place en philosophie à titre de notion scientifique ; Cousin le fit à l’aide de là conception platonicienne des idées. Comme Platon, il démontra que toutes les idées supposent une idée première et suprême, dont elles sont les émanations ou les degrés. La raison, qui nous révèle Dieu, le fait par le moyen du vrai, du beau et du bien. C’est Dieu que nous poursuivons, que nous aimons, que nous nous assimilons dans les sciences, dans l’art, dans la vertu. On peut dire que, dans cette conception, la religion est en quelque sorte immanente ; elle réside, non dans la contemplation et la jouissance immédiate de l’absolu en lui-même, mais dans la contemplation et la jouissance de ses formes : la raison qui nous le révèle est identique au Λόγος divin ; elle est, suivant l’expression de Cousin, « le médiateur. »

Une telle philosophie est bien un idéalisme, si on entend parla la doctrine de l’idéal. Ce terme d’idéalisme la caractérise beaucoup mieux que celui de spiritualisme, que jamais Cousin n’employait lui-même à cette époque pour désigner sa philosophie. Le spiritualisme se rapporte plus spécialement à la question de l’âme et du corps, de l’esprit et de la matière ; or Cousin ne s’occupe pas une seule fois de cette question en 1818 ; et, même dans tout le cours de sa philosophie, il n’y a jamais beaucoup touché. Son principal objet a toujours été d’établir des idées pures, distinctes des idées sensibles : ces idées pures sont pour lui, comme pour Platon l’expression de la raison éternelle qui se manifeste en nous sans être nous, et qu’il appellera plus tard la raison impersonnelle. Or, une telle philosophie est essentiellement idéaliste : ce n’est pas un idéalisme subjectif à la manière de Kant, mais un idéalisme absolu à la manière de Platon et de Schelling. Telle était la métaphysique de 1818, doctrine dont il reste bien peu de traces dans l’édition de 1846. Sans doute, l’esprit platonicien y est toujours présent, mais dépouillé de tout ce qui en faisait la substance. L’idée d’une