Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’espace, voilà Dieu. La liberté absolue est sa loi. C’est sur les hauteurs de cette idée que se réunissent la morale et la religion. Dieu est le but de la morale, puisque la liberté éternelle est Dieu lui-même. Mais, en morale, il est plutôt question de tendre vers ce principe que d’y arriver. »

Après l’histoire de la liberté, la leçon dixième nous donne l’histoire de la raison. Dans cette leçon, Victor Cousin montre qu’à tous les degrés de la connaissance, c’est toujours une seule et même faculté qui juge et qui distingue le vrai du faux. Ces degrés, suivant lui, sont au nombre de quatre. Au premier degré, la sensation ; au second, les vérités générales ; au troisième, les vérités nécessaires ; enfin, au dernier et au plus haut degré, les vérités absolues. A tous ces degrés, c’est toujours à la raison qu’appartient la connaissance et l’affirmation de la vérité, c’est elle qui décide que telle sensation est vraie ou fausse ; c’est elle qui généralise et qui fait les collections que nous appelons genres, espèces, lois ; c’est elle enfin qui aperçoit le nécessaire et, au-delà du nécessaire, l’absolu, source du nécessaire. C’est donc la raison, qui est d’abord concrète, puis abstraite, qui est réfléchie dans l’apparition des vérités nécessaires, et spontanée dans l’apparition des vérités absolues. Cette doctrine de l’unité de la raison et de sa présence à tous les étages de la connaissance est intéressante et a été peut-être trop négligée dans la psychologie ultérieure ; pour ne pas abuser de la patience du lecteur, nous irons droit à la onzième leçon, la plus curieuse de ces leçons inédites et qui mérite d’être étudiée en elle-même ; mais, comme elle porte sur la morale, nous devons, pour la bien comprendre, nous demander quelles avaient été jusque-là les doctrines de Victor Cousin en philosophie morale.


III

Remarquons d’abord quelle faible part avait été faite à la morale dans la philosophie antérieure. Ni Laromiguière ni Royer-Collard ne s’étaient occupés de morale ; Condillac, pas davantage. Dans l’école sensualiste du XVIIIe siècle, on ne peut citer que le médiocre et superficiel ouvrage d’Helvétius, le livre de l’Esprit, et les secs catéchismes de Saint-Lambert et de Volney. Dans Destutt de Tracy on trouve un volume qui porte pour titre la Volonté : on s’attend à un traité de morale ; on ne trouve qu’une économie politique. En un mot, dans l’école condillacienne et idéologique, rien de semblable à la savante construction de Bentham, aux fines, délicates et pénétrantes analyses des philosophes écossais. Ce fut donc une grande nouveauté, en 1818, quand le jeune professeur vint